TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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lundi 1er janvier 2024, par C Jeanney

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Lotus Seven


Retranscriptions d’entretiens avec et autour de Patrick McGoohan à partir du documentaire In My Mind.

Le documentaire In My Mind, réalisé en 2017, revient sur la rencontre de Chris Rodley avec Patrick McGoohan lors du tournage d’un de ses précédents documentaires, Six Into One, Prisoner file, celui-ci diffusé en 1984 sur Chanel 4. Il contient aussi des passages issus d’une interview de Patrick McGoohan en 1977 sur TV Ontario et d’une rencontre avec la fille de l’acteur, Catherine McGoohan, en 2017.

Pour chaque retranscription, la source de l’intervention est indiquée par :

[1977 – TVO] pour l’entretien diffusé sur TV Ontario en 1977 où Patrick McGoohan répond aux questions de Warner Troyer
[1984 – SIO] - pour Six Into One, Prisoner file, le premier documentaire de Chris Rodley diffusé en 1984 sur Chanel 4
[≈ 1985 – ?] - pour le documentaire perdu, dont il ne reste que quelques images, réalisé par Patrick McGoohan lui-même, sans doute courant 1985, en réponse à Six Into One, Prisoner file qu’il avait détesté
[2017 – IMM] - pour In My Mind, de Chris Rodley

Catherine McGoohan [2017 – IMM]
Quand j’ai regardé Le Prisonnier quelques années plus tard, j’ai compris que j’avais raté un détail très important, et quand je l’ai vu dans l’épisode d’ouverture, L’Arrivée, je me suis dit « Oh mon Dieu ! » Sa date de naissance ! Il ne jouait pas un rôle. Il jouait le rôle de Numéro 6, mais c’était personnel à 100 %.

Patrick McGoohan [1977 – TVO]
On est manipulé par le Pentagone, par Madison Avenue, par la télévision, et tant que l’on acceptera tout cela sans se révolter, on devra suivre le courant. J’ai dû signer au bas d’une feuille pour entrer dans cet immeuble. C’est une privation de liberté, de mon point de vue. Et ça me met en colère. Cela me donne envie de me rebeller. C’est ce que fait Le Prisonnier, se rebeller contre ce genre de choses.

Catherine McGoohan [2017 – IMM]
Il aimait beaucoup la plage de Santa Monica. Il aimait cette vue, ce paysage. Il marchait le long de la plage.

Patrick McGoohan [1984 – SIO]
Je vais voir si je peux me détendre. Allons-y. C’est moi qui suis effrayé. Je marche un peu, je jette un œil à la cheminée, je baisse les yeux, je vois une caméra, je vous regarde et je dis « Prêts ? Très bien ». Lord Grade. C’était Lew Grade avant qu’il soit anobli. On recommence. Désolé. C’est trop mignon, je n’aime pas ça. Lord Grade ? C’était Lew Grade à cette époque, et j’avais joué dans de nombreuses pièces à la télévision du temps où c’était filmé en direct. Autrement dit, quand le ’ON’ s’allumait dans le studio, ça signifiait que des gens, parfois plusieurs millions, vous regardaient. Si vous faisiez une erreur, vous ne pouviez pas revenir en arrière et la corriger. C’était donc excellent pour l’adrénaline. Une des pièces que j’ai jouées s’appelait The Big Knife de Clifford Odets, j’incarnais une vieille star de cinéma, et Lew Grade l’a vue. À ce moment-là, il cherchait quelqu’un pour une nouvelle série en préparation, Danger Man [Destination Danger en français]. Le premier script que j’ai reçu contenait une scène où j’étais allongé sur un lit, une jeune femme avec moi, et il y avait un moment dans le scénario où je devais avoir accès à un document très important, il y avait une photo au-dessus du lit et derrière elle un coffre-fort à combinaison. Dans le script on disait que je devais passer au-dessus de la fille, lui dire excusez-moi et prendre le message. J’ai signalé que ce n’était pas une bonne idée, qu’il valait mieux faire sans. En fait, on ne l’a pas tournée ainsi et on n’a plus jamais fait ce genre de choses.

Catherine McGoohan [2017 – IMM]
À cette époque, Bond est apparu. On lui a proposé le rôle, et il l’a refusé, pour les mêmes raisons qui faisaient qu’il n’aimait pas le personnage de John Drake [personnage principal de Danger Man]. Il trouvait que c’était un personnage très stéréotypé, comme celui de James Bond, un séducteur qui portait une arme et tirait sur les gens. Il ne voulait pas jouer le rôle de quelqu’un d’aussi imbu de lui-même, je peux vous l’assurer. Il était beau, mais il n’y avait pas que son apparence. On savait qu’il était toujours en train de réfléchir. Ça se voyait quand il jouait. Il semblait toujours en train de chercher une solution. Il bougeait aussi très bien. Lew Grade disait de lui qu’il se déplaçait comme une panthère. Il était solide et résolu. Certains l’ont décrit comme quelqu’un de provocant, à tous les niveaux.

Patrick McGoohan [1984 – SIO]
À ce moment-là, je pensais qu’il était plus approprié de faire des choses non offensantes à la télévision. Aujourd’hui, bien sûr, il y a de tout. Il n’y a plus de limites. Mais à l’époque, je pensais que si on voulait voir quelque chose d’érotique, il suffisait d’aller dans un cinéma qui proposait ce genre de films, puis, une fois rentré chez soi, on pouvait regarder à la maison ce qui se faisait de correct, de propre. En tout cas, c’était l’idée générale. Beaucoup de choses ont été dites. Le fait que je sois prude, que je ne crois pas au sexe, à la violence et d’autres absurdités. Ceux qui disent cela devraient aller voir le film qui s’appelle Gipsy [1958, Joseph Losey] où je me retrouve dans le foin avec Melina Mercouri pendant un long moment. Et il y en a un autre, horrible, dont j’ai oublié le titre, où je devais violer une jeune Canadienne. Mais ce n’était pas pour la télévision. Répétez-moi la question ? Coupez. Ça vous dirait qu’on se dégourdisse un peu les jambes ? Auriez-vous l’amabilité de me suivre ? Tout ceci est trop confus. Recommençons depuis le début. On ne garde rien. On recommence tout. Ça tourne toujours ? Continuez. C’est parti. Je voulais faire autre chose et j’ai cherché à faire autre chose. Et j’avais bien sûr quelque chose derrière la tête. C’est pour ça qu’on est là, non ? Le sujet principal du Prisonnier m’était connu depuis longtemps. Depuis que le petit garçon que j’étais s’est retrouvé dans une maison très stricte, très religieuse, et allait à l’école avec des professeurs très rigides. Le petit garçon seul, ou tout petit garçon faisant face à ce genre de pression, et l’isolement qui en résulte, voilà le sujet principal du Prisonnier. L’individu révolté contre la bureaucratie. Ça a toujours été en moi et je suppose que d’une certaine manière cette sorte de rébellion est en chacun de nous, n’est- ce pas ? D’une manière ou d’une autre, ça s’est concrétisé. J’en ai eu l’idée pendant les deux semaines de tournage qu’on a fait au nord du pays de Galles pour des épisodes de Danger Man. On devait tourner une scène dans cet endroit qui s’appelle Portmeirion. Je me souviens que je conduisais une Aston Martin dans une petite rue de ce village, un village tel que je n’en avais jamais vu, du moins pas dans les îles britanniques. C’était comme conduire en Italie sous le soleil. J’étais là, émerveillé. Et après avoir terminé la scène, j’ai appris que ces lieux avaient été imaginés par un certain Clough Williams Ellis. Je suis allé lui en parler et il m’a expliqué que c’était son rêve. Il s’était inspiré de Portofino. Je me suis baladé, il y avait toutes sortes de sculptures venues du monde entier. De partout. De Chine, de Grèce, de ce que vous voulez. C’était là, et j’étais étonné de ne l’avoir jamais vu utilisé comme décor pour un film ou quelque chose du genre. Avec des kilomètres de plage et l’océan. Ça pouvait être une île. Ça pouvait être un village n’importe où dans le monde. Isolé. Et j’ai commencé à travailler sur mon script d’origine, l’isolement, à partir de cet endroit. Bien sûr, j’en ai parlé autour de moi, surtout à David Tomblin qui était premier assistant réalisateur des épisodes de Danger Man, et ça s’est développé jusqu’à ce qu’un premier jet soit rédigé. Une fois Danger Man terminé, que s’est-il passé ensuite ?

Catherine McGoohan [2017 – IMM]
Quand mon père a vu Portmeirion, il a dit « Ah, d’accord ! » Cet endroit semblait impossible à situer sur la planète, surréaliste, comme un autre monde, un pays imaginaire. Je sais que ma mère pouvait aller y passer quelques jours, puis, pour une raison ou une autre, elle éprouvait un sentiment de malaise. Lui savait comment utiliser cela, et je suis certaine qu’il a ressenti la même chose la première fois qu’il y est allé. Au bout d’un moment, on ne veut plus qu’une chose, s’en aller.

Patrick McGoohan [1984 – SIO]
Après la première ébauche je suis allé voir Lew Grade et j’ai dit « Bon, est-ce qu’on n’en a pas assez de Danger Man ? »

Catherine McGoohan [2017 – IMM]
Il [Lew Grade] a répondu « Allez Pat, on continue, ça se passe bien ici. Tout le monde t’adore. Continuons ce tournage ». Et mon père a dit « J’arrive ».

Patrick McGoohan [1984 – SIO]
Il m’a demandé « Est-ce que tu veux faire autre chose ? » J’ai répondu « Eh bien tu sais, j’ai une idée en tête, sur laquelle j’ai écrit quelques notes ». J’ai pris ma sacoche, je l’ai ouverte. J’ai sorti un gros paquet de feuilles. Dedans, Lew a trouvé les grandes lignes d’une histoire, les lieux, la description de l’environnement. Je pense qu’il a pris peur en voyant toutes ces pages. Il m’a dit « Attends, Pat. Et si tu me décrivais ça oralement ? »

Catherine McGoohan [2017 – IMM]
Lew Grade n’était pas un très grand lecteur. Il préférait qu’on lui raconte, ou qu’on lui montre. Mon père lui a donc expliqué les prémices. « Et si, pas nécessairement John Drake mais un personnage comme John Drake, voulait démissionner ? Qu’est-ce qui se passerait si on le lui interdisait ? »

Patrick McGoohan [1984 – SIO]
Lew m’a écouté jusqu’à la fin. Je me suis assis. Il s’est levé, il a marché un peu en tirant une bouffée de son cigare, puis il s’est tourné vers moi et il a dit « Pat ! C’est tellement fou que ça pourrait bien marcher. On commence quand ? »

Patrick McGoohan [1977 – TVO]
Au départ, je ne voulais faire que sept épisodes. En feuilleton. Par opposition à une série. Je pensais que le concept ne tiendrait la route que durant sept épisodes. Mais Lew Grade avait besoin de vendre. Il lui en fallait vingt-six. Je ne pouvais pas créer vingt-six histoires, ça aurait trop fractionné l’ensemble. Mais le temps d’un week-end, avec les scénaristes, on a réussi a créer dix histoires de plus. Dix-sept au total. Mais ça aurait dû être sept.

Patrick McGoohan [1984 – SIO]
À l’époque, ce qui se vendait bien, c’était des choses comme Danger Man, de style action/aventure. Mais il faut savoir que Lew Grade ne s’imposait pas de limites. Il avait une conception large de la vie et il avait de l’appétit. Je lui ai dit « Bien sûr, il y aura un peu d’action/aventure dans Le Prisonnier », comme je l’avais en tête, oui, il y en aurait. Et il a simplement dit « C’est parti ». Il fonctionne à l’instinct. Il ressent les choses, il vit à l’instinct.

Catherine McGoohan [2017 – IMM]
Je crois que Lew Grade aimait le risque. Et il aimait aussi parier. C’était un homme d’affaires, mais qui aimait parier, et Le Prisonnier était réellement un pari.

Patrick McGoohan [1984 – SIO]
Après qu’il ait dit « C’est parti », on s’est serré la main, on n’a jamais signé de contrat. Il ne s’est jamais mêlé de mes affaires et ne m’a jamais dérangé.

Lew Grade [1984 – SIO]
Un jour on m’a demandé « Comment ça se passe avec Patrick McGoohan ? » J’ai dit Très bien. Je n’ai aucun problème avec lui. « Mais comment faites-vous ? » J’ai dit : je le laisse faire. Je laissais tout entre ses mains. J’étais entièrement satisfait. Je savais qu’il avait le projet en tête. J’adorais le concept. J’adorais les lieux et, plus important, je trouvais que Patrick McGoohan était une star dans tout ce qu’il entreprenait. Il avait un talent remarquable. Une personnalité extraordinaire. C’était le meilleur acteur en activité à cette époque dans le pays.

Catherine McGoohan [2017 – IMM]
Il dégageait une certaine intensité. Il ne faisait aucun compromis, c’est de cette façon qu’il menait sa vie la plupart du temps. Il mettait souvent beaucoup de pression, sur lui- même autant que sur ceux qui l’entouraient. Je pense que parfois, quand on a cette manière de penser et qu’on sait certaines choses, il est difficile de vivre dans notre monde. Quand on voit tout ce qui se passe. Sur ce point, il avait un sentiment d’isolement. À certains moments, pas toujours.

Patrick McGoohan [1984 – SIO]
Peut-on aller plus vite et exclure cette partie ? Allez-y. Un peu plus vite, sinon on va y passer la nuit. Vérifiez l’enregistrement s’il vous plaît. Pour exclure cette partie. On ne l’a pas faite. J’étais producteur exécutif. Le contrôle et la vision globale n’ont rien à voir avec cette fonction de producteur exécutif. Comme j’avais lancé l’idée, je pensais qu’ils me poseraient des questions s’ils voulaient savoir ce qui se passerait ensuite, l’intention générale, tout ce que ça signifiait. Je n’ai jamais demandé à être producteur exécutif, ça m’est un peu tombé dessus car on m’a dit « Tu ferais mieux de mettre ton nom », il n’y était pas en tant que créateur. On m’a dit « Arrange-toi pour qu’il y soit, fais quelque chose du côté de la production sans te limiter à jouer ou à participer à la réalisation et à l’écriture ».

Catherine McGoohan [2017 – IMM]
Quand Le Prisonnier a commencé, ils avaient le concept et c’était longuement réfléchi. Rien n’est né par accident. Je crois que mon père avait écrit un résumé d’environ quarante pages, les tenues, les lieux, les téléphones, les blazers. Mais, imaginez un réalisateur ou un scénariste arriver sur le tournage d’une telle série et comprendre immédiatement ce que chacun doit faire ! Il était donc important pour mon père de garder le concept intact et de ne pas s’en écarter. Il ne voulait surtout pas que ce soit une énième série d’agents secrets. Donc, d’une certaine façon il devait s’y impliquer totalement. Parce que c’était né de son imagination.

Patrick McGoohan [1984 – SIO]
Si on en revient à la création du concept de l’homme isolé qui est en lutte contre le système et la bureaucratie, le meilleur endroit où situer cette action est une zone isolée, une île ou un village reculé quelque part dans le monde. Il fallait aller à l’essentiel et se demander : à quoi ressemble ce village ? Sur le plan architectural, on le savait, car on utilisait Portmeirion. Il fallait ensuite choisir comment tout circulait. Est-ce qu’il y avait un journal ? et, s’il y en avait un, quel était son nom ? l’électricité ? la télévision ? et les systèmes de communication ? les transports ? etc. On s’est demandé de quelle façon quelqu’un pourrait construire ce village.

Catherine McGoohan [2017 – IMM]
Très honnêtement, il n’y aurait pas eu de Prisonnier sans Portmeirion et vice versa. Ils auraient peut-être fini par trouver quelque chose, ou bien ils auraient eu besoin de partir de rien, mais je ne sais pas s’ils auraient pu aller ailleurs. Clough, l’architecte, venait juste de finir de bâtir le village. C’était encore en cours de travaux quand ils ont commencé à tourner. Mais, au fond, je peux le dire, je suis sûre que c’était fait pour Le Prisonnier.

Patrick McGoohan [1984 – SIO]
En ce qui concerne le grand bi, ça m’a rappelé les images d’une époque très élégante. Vous vous souvenez, ces vieilles illustrations du grand bi, le gentleman bien habillé assis au-dessus de la grande roue, portant un chapeau haut de forme, moustachu, et tout ce qui va avec, comme les beaux souliers vernis. C’était l’époque de l’élégance et le grand bi symbolisait le progrès. Et il était plutôt moqué. Je pense que parfois le progrès avance peut-être trop vite pour nous, on n’arrive pas à suivre.

Catherine McGoohan [2017 – IMM]
Cela le gênait d’en parler et d’en tirer tous les honneurs. Encore une fois, ça ramène à sa volonté de ne pas trop vouloir parler de lui. Et de ne pas trop en dire sur la signification de ceci ou cela. Il estimait que l’œuvre parlait d’elle-même. Elle était laissée à l’interprétation de chacun. Il n’aimait pas que les acteurs parlent d’eux. Il trouvait ça indigent. Il pensait que les acteurs ne devaient pas dévoiler leurs secrets.

Patrick McGoohan [1984 – SIO]
Religieux ? Qu’y a-t il de religieux dans le dernier épisode ? Religieux ? Je vous demande pardon ? C’était le purgatoire non ? Où était-ce ? Quoi ? C’est bon, vraiment ? Oh eh bien, c’était un plaisir de discuter avec vous je suppose. Vous êtes sûrs que c’est tout ? Rien d’autre ? Pas d’autres explications ? Allez. Demandez-moi. Je ne trouve rien d’autre non plus. Si, par chance, vous avez compris, oui, en effet, si par chance vous avez compris quelque chose, alors cela me décevra profondément. Car j’ai fait de mon mieux pour vous embrouiller. Mais on remettra ça, n’est-ce pas ? Be seing you.

Catherine McGoohan [2017 – IMM]
Parfois, un rôle se présente, il y a le script, le personnage et l’acteur. Et tout s’ajuste parfaitement, c’est comme si cela avait été écrit pour lui. Je pense que dans ce cas c’était vrai. J’ai eu la chance de voir cette pièce [en 1957, Brand de Henrik Ibsen] et je peux encore entendre sa voix aujourd’hui. Je me souviens encore de lui se déplaçant sur la scène et appelant Dieu, le conjurant de lui donner une réponse. C’était si puissant. Peter Sallis était à ses côtés et il a dit que lorsqu’il est monté sur scène avec mon père et qu’il l’a regardé dans les yeux, il a compris qu’il ne verrait peut-être plus jamais une telle performance. Le fait qu’il soit si imprévisible, si déterminé. Il avait un objectif, un objectif irréfutable et de la passion. Je pense que tous ces éléments se retrouvent dans Numéro 6.

Patrick McGoohan [1984 – SIO]
Avec David Tomblin on est devenus amis sur le tournage de Danger Man, puis j’ai voulu qu’il se rapproche de moi quand on a commencé Le Prisonnier. Il l’a donc produit et il a co-supervisé les scripts avec George Markstein qu’on avait engagé. Il y avait aussi Bernard Williams, notre responsable de production, un jeune homme extraordinaire. Je crois qu’il a participé ensuite à de bien plus grandes choses, plusieurs fois avec Stanley Kubrik par exemple. Il y avait aussi Jack Shampan, notre directeur artistique, un homme qui ne pouvait pas s’arrêter de travailler. Quelle que soit votre heure d’arrivée au studio, même à six heures du matin, vous pensiez qu’il était tôt mais lui était déjà là depuis une demi-heure à chercher de petites choses qui iraient dans tel ou tel décor pour lui donner le caractère adéquat.

Catherine McGoohan [2017 – IMM]
Il ne voulait pas avoir l’impression de faire un one-man-show. Il adorait le processus du travail d’équipe. Je sais qu’il était toujours impatient d’aller travailler, c’était pour lui le meilleur sentiment du monde. Il adorait être sur le tournage, il adorait l’équipe autour de lui. Je pense que ça a été difficile pour lui quand ça s’est arrêté.

Patrick McGoohan [1984 – SIO]
George a engagé des scénaristes à l’état d’esprit particulier. Aucun d’eux n’avait écrit pour Danger Man. Ils devaient avoir ce côté stylé, futuriste. George savait qui embaucher et il l’a fait, de ça je peux le remercier. Au début, ils ne se sont pas coulés tout de suite dans le moule du Prisonnier, mais George a eu une technique qui a bien fonctionné, il les a emmenés dans les meilleurs restaurants de Londres, a payé les repas, les vins, et ça a marché.

Catherine McGoohan [2017 – IMM]
Ce qui n’a pas été simple, c’est que ces réalisateurs et ces scénaristes sont venus d’autres séries télévisées de l’époque. Ils se disaient « Oh, c’est une série d’espionnage, on nous a donné les grandes lignes, c’est un agent secret qui veut passer à, autre chose et chaque épisode va tourner autour de ça ». Mais ça c’était les prémices, simplement les prémices. Qu’arrive-t-il ensuite ? C’était comme les branches d’un arbre. Cela a ouvert la porte à toutes sortes de possibilités. La série est devenue autre chose.

Patrick McGoohan [1984 – SIO]
Bien sûr j’ai toujours aimé les contes de fées, comme beaucoup j’imagine. On aime le fantastique, les mythes, les légendes, on croit que l’impossible est possible, que tout peut arriver en imagination. Ça avait quelque chose d’un conte de fées. Plus encore, pour être précis, c’était une allégorie. Une allégorie je crois, se définit comme une histoire dans laquelle les choses, les gens, les lieux et les événements cachent une raison, un symbolisme. On pouvait se demander si ce n’était pas trop osé d’y ajouter une histoire de cowboys et de western [épisode 14, Living in Harmony, en français Musique douce]. Je ne crois pas, car après tout, on y a intégré les découpes en carton des différents personnages qui venaient de méandres des histoires de cowboy, avec leurs pistolets à six et coups et leurs éperons, pour devenir des numéros dans le Village. Il y avait donc du fantastique, du conte de fées et de l’allégorie, toujours. Je pense que c’est particulièrement bien illustré dans mon épisode préféré, Il était une fois. C’est un moment conte de fées et un passage un peu autobiographique. Je suppose que ça vient du plus profond de moi, peu importe la façon de le décrire, ça vient de moi. La plateau s’appelait « la salle des embryons » pour des raisons évidentes. C’était un choc frontal entre deux personnages. Obéir ou mourir. Leo [McKern] travaille à un rythme formidable. Il suffit d’utiliser une intonation inattendue et il la saisira immédiatement avant d’en sortir une nouvelle de son cru. Puis on développe à partir de ça. Et ça devient une sorte de duo rythmique. On savait que ça allait être une lutte acharnée. On était très bons amis mais on ne pouvait pas l’être sur le tournage de Il était une fois. Leo sortait d’un rôle très exigeant au théâtre et il était très fatigué quand il est arrivé. Il était tellement sous pression qu’il a dû cesser de travailler pendant quelques jours.

Patrick McGoohan [1977 – TVO]
Leo, un midi, est monté dans sa loge pendant que j’allais voir les rushs. Je savais qu’il était fatigué. Je suis allé ensuite le rejoindre pour lui dire à quel point il avait été bon pendant les scènes. Il était recroquevillé en position fœtale sur son canapé et m’a crié « Va-t’en, je ne veux plus te revoir ». J’ai dit « Qu’est-ce qui se passe ? » Il a répondu « Je viens d’appeler deux médecins, ils arrivent dès que possible. Va-t’en ». Il avait craqué. C’était vraiment étonnant. Cette pression était terrifiante.

Patrick McGoohan [1984 – SIO]
Tous les scripts que j’ai écrits je les ai écrits très vite. Ça a mijoté là-haut pendant si longtemps que j’avais besoin de m’y attaquer. Je devais passer par là, me battre. En ce qui concerne les trois scripts que j’ai écrits pour Le Prisonnier, chacun m’a pris environ trente-six heures. Il était une fois, j’ai dû l’écrire d’un seul jet, sans en changer un seul mot par la suite. En le lisant, notre accessoiriste a dit : « Quel est l’idiot qui a écrit ça ? », car il y avait quatre pages sans rien dessus. Il y avait Leo et moi, on y désignait les personnages avec un P pour le prisonnier, Leo, P, Leo, P, Leo, P, sur ces pages il y avait juste six, six, six, de un, une, de six, sur un, et dans six, six, six, six, six, de un, et de un, et une douzaine de six, six, six. Je n’en veux pas à l’accessoiriste, Mickey O Toole, un irlandais malicieux au grand sens de l’humour, d’avoir dit « Qu’est-ce que c’est que ces conneries-là ? » Je n’avais pas signé de mon vrai nom en l’envoyant, car je savais que j’allais être ridicule. C’était « Il était une fois, par Archibald Schwartz ». Donc Mickey a dit « Cet Archibald Schwartz, où l’avez-vous pêché ? » J’ai dit « Crois- moi Mickey, c’est un bon gars, tu verras, il fera l’affaire ». Le Numéro 1 ? Je suis d’accord avec vous sur ce point, personne ne le savait. La première personne qui l’a découvert, c’était après que je me sois traîné hors du bureau après l’écriture [de l’épisode 17, épisode final de la série, Fall out, ou en français Le Dénouement]. C’était terminé en trente-six heures. Il y a eu un gros travail, comme lors d’un accouchement. On avait tellement à en dire que les scripts sont sortis très rapidement. Encore une chose : j’en ai récupéré une copie et, avant d’aller dormir quelques heures pour retourner travailler le lundi matin, je me suis assis avec David [Tomblin]. On prenait un thé ou autre chose dans un salon de thé je crois. J’ai dit « Tu devrais lire ça » et je lui ai donné. Je suis allé m’asseoir à une autre table et j’ai siroté mon thé jusqu’à ce qu’il ait fini et qu’il me le rende. Il m’a dit « Je pensais que ce serait toi a la fin ». Ça ne pouvait en être autrement. Qui d’autre ? Je n’allais pas rappeler Sean ou Roger ou un autre gars. Qui d’autre, je ne savais pas. Quelle est la pire chose sur terre ? Est-ce que c’est la jalousie, est-ce que c’est la haine ? la vengeance ? la bombe ? qu’est-ce que c’est ? Tout le monde le cherche, c’est caché. C’est la partie maléfique de soi. C’était ça, la chose la plus maléfique que je pouvais mettre derrière ces masques. Tout d’abord le masque noir et blanc [référence à la scène finale de dévoilement dans le dernier épisode du Prisonnier], puis le masque du singe et enfin, le visage souriant et maléfique qui est le mien, on le voit juste une fraction de seconde, et une fois encore, seulement une fraction de seconde. Je ne peux pas en vouloir aux spectateurs qui se demandaient « Qu’est-ce qui se passe ? ». Si ça c’était réussi, alors tout était réussi. J’aurais été très en colère, et déçu s’ils n’avaient pas regardé, s’ils n’avaient pas bloqué les standards téléphoniques d’ITV [télévision privée du Royaume-Uni, lancée en 1955, où était diffusée la série Le Prisonnier]. J’aurais été outré. J’aurais traîné pendant des années avec la queue entre les jambes. Mais au lieu de ça, ça a été incroyable. J’ai adoré. Et si je pouvais recommencer, je le referais. Je me dois de les aimer, ils ont regardé. Des millions de gens ont été outrés. Tant que les gens ressentent quelque chose... C’est quand ils errent sans réfléchir ni rien ressentir que c’est vraiment dur. C’est là qu’est le danger. Car une foule comme ça peut être transformée en une sorte de gang comme celui d’Hitler. Et là, on ne veut pas de réactions du type « Attendez une minute, vous osez me faire ça ? Je vais en parler a Lord Grade ».

Catherine McGoohan [2017 – IMM]
Ça n’a pas été très populaire, non. Et le standard de la chaîne a explosé. À la maison, mon père semblait un peu embarrassé, il avait compris qu’il devait éviter de sortir dans la rue pendant quelques jours. Les gens attendaient une réponse, une conclusion. Ils s’attendaient à voir le visage de Numéro 1. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé, non, et ça n’arriverait pas. Je dois dire que je l’ai trouvé brave et courageux, car il l’a fait. Il a choisi une fin qui porte en elle une longévité.

Patrick McGoohan [1977 – TVO]
Je voulais qu’il y ait une controverse, des débats, des bagarres, des discussions, des gens en colère, les poings serrés me disant : « Comment osez-vous ? Vous devriez faire des histoires d’agents secrets simples à comprendre. » Cette réaction m’a ravi. Je la trouve très bonne. J’ai eu de la chance de pouvoir quitter l’Angleterre vivant. J’imagine que beaucoup ont regardé le dernier épisode en s’attendant à voir un Numéro 1 maléfique hors norme, une sorte de personnage mystérieux qui dirige tout, à quoi allait il ressembler ? était-ce une sorte de Jekyll ? Mais pas un Jekyll et Hyde, je crois qu’ils s’attendaient plutôt à une fin avec une sorte de James Bond méchant. Je pense qu’ils se sont sentis spoliés par ce qu’ils ont vu. Beaucoup en tout cas. Mais je ne trouve pas, je ne pense pas qu’ils aient été spoliés, car pour en revenir à l’allégorie, c’est de ça qu’il s’agissait. Il fallait donc une fin allégorique. On ne peut pas avoir Sean Connery qui se regarde à la fin et jette un « Je vais te tuer, mec ! », on ne peut pas faire ça, ça ne marche pas avec James Bond. Il n’y a pas de mystère dans James Bond.

Lew grade [1984 – SIO]
J’ai toujours voulu savoir ce qui allait se passer avec le ballon [Le Rôdeur]. Mais personne n’a pu me le dire.

Patrick McGoohan [1984 – SIO]
Une durabilité incroyable. Vous savez, j’ai toujours pensé que c’était fait pour 1984. Et c’est ironique que d’une certaine façon, ça passe encore en Angleterre en cette fin 1983 et sûrement en 1984, et ça passera peut-être encore en 2000, je ne sais pas. Il y a peut- être une ou deux personnes qui voudront le voir. Mais ce qu’on ne doit jamais faire, et peut-être que je ne devrais pas justement faire ceci, vous parler et pour ceux qui vont regarder et écouter, c’est expliquer Le Prisonnier, car au fond de moi je trouve encore de nouvelles interprétations. Je me sens privilégié d’avoir eu de la chance sur certains points. À propos de ces idées, j’espère qu’on pourra toujours jouer avec elles. Il n’y a pas de limites. N’est-ce pas ? Be seing you. J’espère. [Cut]

Patrick McGoohan [≈ 1985 – x]
Be seing you est rempli de connotations. Cela peut faire référence à un ami, une petite amie, petit ami avec l’espoir de moments agréables à venir, ou bien c’est se revoir après un long voyage si quelqu’un s’en va, ça peut aussi être une menace, je te retrouverai, et plein d’autres choses. Mais à propos de son utilisation dans le contexte du Prisonnier, c’était en référence à la surveillance constante. Même quand on dort, quelqu’un fouille dans vos rêves. Est-ce que j’ai dû me battre pour Le Prisonnier ? Oh oui. On a eu quelques difficultés. Et je crois que c’est toujours une bonne idée, s’il doit y avoir une bagarre, que c’en soit une bonne et de passer à autre chose. Tout le monde sait ainsi qu’on est dans le même bateau. Car si la bagarre se passe mal, verbalement bien sûr, alors il est temps de se dire « Je m’en vais sur un autre bateau ». Mais, si cela se passe sur votre bateau, certaines choses doivent être respectées. Le Prisonnier ne peut pas s’échapper. Vous êtes bien prisonnier de quelque chose, non ? On est tous prisonnier de quelque chose. On s’échappe quand on est libéré, je suppose, par la mort. C’est la libération ultime. Et ce qui se passe ensuite dépend du prisonnier qu’on était. On peut être prisonnier et libre, au moins sur parole.

autres sources
The Prisoner - behind the scenes
The Prisoner Puzzle with Patrick McGoohan
The Prisoner : "In my mind"
The Prisoner Interview Mike Smith interviews Patrick McGoohan
Patrick McGoohan speaks about his association with Lew Grade
Le Rôdeur, fan club du Prisonnier
Six of One The Prisoner Appreciation Society
Table ronde : qu’est-ce qu’une série télévisée culte ? L’exemple du "Prisonnier"
et sans doute d’autres qui m’échappent

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