TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

JOURNAL DE TRADUCTION DES VAGUES #WOOLF

journal de bord des Vagues -73 ["et j’essaie de ressembler aux autres"]

lundi 5 juin 2017, par C Jeanney

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(journal de bord de ma traduction de The Waves de V Woolf)

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 reprise de cette traduction après un très long moment
(un temps aussi occupé à traduire d’autres textes de Virginia Woolf)
y replonger réactive mon envie de continuer à traduire Les Vagues, à perpétuité
 un passage assez long, d’où la longueur de ce billet, et qui m’a donné beaucoup de fil à retordre
en même temps que beaucoup d’énergie pour reprendre, continuer, m’y consacrer

 le passage original

‘People go on passing,’ said Louis. They pass the window of this eating-shop incessantly. Motor-cars, vans, motor-omnibuses ; and again motor-omnibuses, vans, motor-cars — they pass the window. In the background I perceive shops and houses ; also the grey spires of a city church. In the foreground are glass shelves set with plates of buns and ham sandwiches. All is somewhat obscured by steam from a tea-urn. A meaty, vapourish smell of beef and mutton, sausages and mash, hangs down like a damp net in the middle of the eating- house. I prop my book against a bottle of Worcester sauce and try to look like the rest.
‘Yet I cannot. (They go on passing, they go on passing in disorderly procession.) I cannot read my book, or order my beef, with conviction. I repeat, “I am an average Englishman ; I am an average clerk”, yet I look at the little men at the next table to be sure that I do what they do. Supple-faced, with rippling skins, that are always twitching with the multiplicity of their sensations, prehensile like monkeys, greased to this particular moment, they are discussing with all the right gestures the sale of a piano. It blocks up the hall ; so he would take a Tenner. People go on passing ; they go on passing against the spires of the church and the plates of ham sandwiches. The streamers of my consciousness waver out and are perpetually torn and distressed by their disorder. I cannot therefore concentrate on my dinner. “I would take a tenner. The case is handsome ; but it blocks up the hall.” They dive and plunge like guillemots whose feathers are slippery with oil. All excesses beyond that norm are vanity. That is the mean ; that is the average. Meanwhile the hats bob up and down ; the door perpetually shuts and opens. I am conscious of flux, of disorder ; of annihilation and despair. If this is all, this is worthless. Yet I feel, too, the rhythm of the eating- house. It is like a waltz tune, eddying in and out, round and round. The waitresses, balancing trays, swing in and out, round and round, dealing plates of greens, of apricot and custard, dealing them at the right time, to the right customers. The average men, including her rhythm in their rhythm (“I would take a tenner ; for it blocks up the hall”) take their greens, take their apricots and custard. Where then is the break in this continuity ? What the fissure through which one sees disaster ? The circle is unbroken ; the harmony complete. Here is the central rhythm ; here the common mainspring. I watch it expand, contract ; and then expand again. Yet I am not included. If I speak, imitating their accent, they prick their ears, waiting for me to speak again, in order that they may place me — if I come from Canada or Australia, I, who desire above all things to be taken to the arms with love, am alien, external. I, who would wish to feel close over me the protective waves of the ordinary, catch with the tail of my eye some far horizon ; am aware of hats bobbing up and down in perpetual disorder. To me is addressed the plaint of the wandering and distracted spirit (a woman with bad teeth falters at the counter), “Bring us back to the fold, we who pass so disjectedly, bobbing up and down, past windows with plates of ham sandwiches in the foreground.” Yes ; I will reduce you to order.
‘I will read in the book that is propped against the bottle of Worcester sauce. It contains some forged rings, some perfect statements, a few words, but poetry. You, all of you, ignore it. What the dead poet said, you have forgotten. And I cannot translate it to you so that its binding power ropes you in, and makes it clear to you that you are aimless ; and the rhythm is cheap and worthless ; and so remove that degradation which, if you are unaware of your aimlessness, pervades you, making you senile, even while you are young. To translate that poem so that it is easily read is to be my endeavour. I, the companion of Plato, of Virgil, will knock at the grained oak door. I oppose to what is passing this ramrod of beaten steel. I will not submit to this aimless passing of billycock hats and Homburg hats and all the plumed and variegated head-dresses of women. (Susan, whom I respect, would wear a plain straw hat on a summer’s day.) And the grinding and the steam that runs in unequal drops down the window pane ; and the stopping and the starting with a jerk of motor-omnibuses ; and the hesitations at counters ; and the words that trail drearily without human meaning ; I will reduce you to order.’’

 ma traduction


« Les gens passent sans cesse », dit Louis. « Ils passent devant la vitrine de cette brasserie, constamment. Voitures, fourgonnettes, omnibus ; et encore, omnibus, fourgonnettes, voitures – ils passent devant la vitrine. Tout au fond, j’aperçois les magasins et les maisons ; les flèches grises d’une église aussi. Au premier plan, des étagères en verre, garnies d’assiettes de brioches, de sandwichs au jambon. Tout cela rendu vaguement imprécis par la vapeur d’une fontaine à thé. Une odeur de bœuf, de mouton, de saucisses et de charcuterie flotte, comme un filet humide, au milieu de la salle. J’appuie mon livre contre une bouteille de sauce Worcester et j’essaie de ressembler aux autres.
Mais je ne peux pas (ils passent, ils passent en cortège désordonné). Je ne peux ni lire mon livre ni commander mon bœuf avec conviction. Je répète : "Je suis un Anglais ordinaire, un employé ordinaire", tout en observant ceux qui sont à la table d’à côté pour être sûr de faire comme eux. Leur visage souple, leur peau qui se ride et tressaute sous leurs expressions multiples, agiles comme des singes, comme parfaitement coulés dans ce moment précis, huilés, ils discutent, avec les gestes appropriés, de la vente d’un piano. Qui bloque le couloir, alors un billet de dix, ça suffira. Les gens passent ; ils passent contre les flèches de l’église et les assiettes de sandwichs au jambon. Leur désordre fait constamment vaciller le ruban de ma conscience, le secoue, le lacère. Je ne peux donc pas me concentrer sur mon dîner. "Un billet de dix, ça m’ira. Le coffrage est beau ; mais il bloque le couloir." Les hommes plongent et plongent comme des oiseaux de mers aux plumes glissantes, huileuses. Tout ce qui excède la norme n’est que vanité ici. Ici, il n’y a que la médiocrité, la moyenne. Pendant ce temps, les chapeaux surgissent, plongent, la porte se ferme et s’ouvre continuellement. Je ressens ce flux, ce désordre ; l’anéantissement, le désespoir. S’il n’y a que ça, alors c’est inutile. Pourtant, je peux sentir aussi le rythme de la salle. C’est comme un air de valse, ça tourbillonne et tourne, et tourne encore. Les plateaux en équilibre, les serveuses qui entrent et sortent, tournent, tournoyantes, apportent des assiettes de légumes, d’abricots à la crème qu’elles savent distribuer au bon moment au bon client. Les hommes ordinaires intègrent ce rythme à leur rythme ("j’en demande un billet de dix, car il bloque le couloir"), et ils prennent leurs légumes, leurs abricots à la crème. Où se trouve donc la faille dans ce flux continu ? Et la fissure qui dévoile le désastre ? Le cercle est ininterrompu ; l’harmonie complète. Voici le rythme essentiel ; le grand ressort commun. Je le regarde s’étirer, se contracter, puis s’étirer encore. Je n’en fais pas partie. Si je parle en imitant leur accent, ils dressent l’oreille, ils attendent que je continue pour saisir d’où je viens – Canada, Australie –, moi qui désire avant tout être enlacé avec amour, je me sens étranger, extérieur. Moi qui souhaite que les vagues protectrices de l’ordinaire m’enveloppent, j’aperçois, furtif, un horizon au loin ; je note les chapeaux qui surgissent et plongent en perpétuel désordre. C’est à moi qu’un esprit absorbé, égaré, lance sa plainte (une femme avec de mauvaises dents hésite près du comptoir) : "Prends-nous et réorganise-nous, nous qui passons, découragés, surgissant et plongeant, derrière des vitrines d’assiettes de sandwichs au jambon au premier plan." Oui, de force, je vous remettrai en ordre.
Je vais lire le livre appuyé contre la bouteille de sauce Worcester. Il contient des anneaux ciselés, des déclarations parfaites, peu de mots, mais de la poésie. Vous tous, vous l’ignorez. Ce que le poète mort a dit, vous l’avez oublié. Et je ne peux pas vous le traduire pour que sa force vous enchaîne et vous fasse réaliser clairement que vous êtes sans but, que votre rythme est bon marché et sans valeur, et ainsi repousser cette déchéance qui, parce que vous ne savez rien de votre absence de but, vous imprègne et vous rend sénile, même si vous êtes jeune. Traduire ce poème pour le rendre facile à lire, voilà mon entreprise. Moi, compagnon de Platon, de Virgile, je frapperai à la porte de chêne veinée. J’oppose à ce qui passe une brosse d’acier trempé. Je ne me soumettrai pas à ce défilé vain de chapeaux melons, de feutres mous et de coiffes à plumes bigarrées (Susan, que je respecte, porterait un simple chapeau en paille l’été). Et les grincements, la vapeur qui ruisselle en gouttes inégales sur la vitre et les secousses des moteurs d’omnibus s’arrêtant et repartant, et les hésitations aux comptoirs, les mots qui traînent, tristement dénués de sens humain ; de force, je vous remettrai en ordre. »

  quelques-unes de mes interrogations
(toutes les écrire serait sans fin)

 un passage d’une grande difficulté avec de nombreux obstacles, de nombreuses énigmes et il faut trouver la réponse, les réponses, car bien sûr, il n’y en n’a pas qu’une : pour le constater, il n’y aura qu’à lire les trois autres traductions de ce même passage plus bas (Michel Cusin, Cécile Wajsbrot, Marguerite Yourcenar) et comment pour chaque interrogation le chemin de pensée qui mène à une réponse possible est légèrement différent. Preuve qu’une traduction est bien une re/création
je suis de plus en plus convaincue que traduire et écrire sont de la même veine et je sens de plus en plus fortement que la traduction cherche avant tout à mettre du sens en regard d’un extérieur, alors que l’écriture peut elle se contenter d’exister sur un mode interne
 et je suis de plus en plus convaincue également que traduire VW en particulier, et Les Vagues plus précisément, me permet de cerner cela avec plus d’acuité, aussi dans ce geste, ce mouvement de mains jointes qui lie le savoir, la connaissance et l’émotion ensemble, dans un dosage « juste » (j’emploie presque toujours le mot « juste » au sens musical). L’érudition, la connaissance poussée d’une langue ne suffit pas à elle seule, il faut que s’y ajoute des multitudes de ressentis et de pourquoi. Pourquoi ce mot là à cet endroit là, dans la langue d’origine, pour que la couleur, ou ce qui s’en approche le plus, reste dans la langue d’arrivée

 «  All is somewhat obscured  », je m’éloigne du sens « obscurci » qui ajouterait une teinte sombre, alors qu’il ne s’agit pas de ça, mais de brouillage et de complexité, c’est obscur dans le sens incompréhensible, flouté, les formes sont mal délimitées, je choisis « vaguement imprécis »

 «  hangs down like a damp net in the middle of the eating- house  », je me pose la question de transformer « damp net » pour le rendre plus clair, et puis non, je le laisse tel quel, « filet humide », car c’est la comparaison la plus juste, celle qui est à sa place ici

 «  I look at the little men  », je cherche longtemps à rendre ce « little men » qui est là pour montrer la petitesse au sens de médiocrité des voisins de table, mais pour fluidifier le paragraphe, je décide d’édulcorer en remplaçant simplement par « ceux », sachant que la médiocrité sera de toutes façons montrée plus loin et peut-être plus appuyée

-«  greased to this particular moment  », il y a là l’idée de mécanismes aux rouages parfaitement graissés, je choisis d’être plus explicite que ce que donnerait un mot-à-mot, avec « comme parfaitement coulés dans ce moment précis, huilés »

 «  It blocks up the hall ; so he would take a Tenner  », le problème des pronoms se pose, il n’y a pas d’équivalence du it en français, si je garde le il pour le piano et le il pour l’homme qui s’exprime, j’induis une possible confusion entre les deux. En commençant la phrase par Qui (qui désigne le dernier mot de la phrase précédente, donc piano), j’accentue le côté dialogue capté au vol, et j’élimine également le second il (celui qui parle), qui n’est pas utile au sens informatif, car ce qui compte ici, c’est le dialogue et les mots vains, peu importe l’émetteur, ce qui donne « Qui bloque le couloir, alors un billet de dix ça suffira »

 «  The streamers of my consciousness waver out and are perpetually torn and distressed by their disorder . » Bannière, banderole, streamers indique un écoulement de pensées, flottant, souple comme du tissu, je choisis « ruban » qui n’a pas la connotation militaire de bannière, ou militante de banderole
(ce qui me fait penser directement à la voix enregistrée de VW parlant des mots, de la vieille langue anglaise, où chaque mot nous arrive accompagné de sa famille, de sa mémoire, ainsi le mot « écarlate » pour elle toujours lié au « innombrables mers écarlates » de Macbeth) (c’est ce mécanisme qui me fait renoncer à bannière et banderole)
mais commencer la phrase par « le ruban de ma conscience » me semble lourd, peu accordé, et c’est le désordre qui fait nerf dans cette histoire, d’où ma décision de le placer comme sujet

 «  like guillemots  », je décide de transformer les guillemots en oiseaux des mers pour que la lecture n’achoppe pas sur ce terme peu habituel (en tout cas pas aussi habituel que mouette ou goéland), c’est l’idée d’oiseau plongeant qui m’importe, ainsi que l’idée d’eau, de flux, de brassage, et pas que ce soit un oiseau en particulier

 «  the hats bob up and down  », grand questionnement avec ce verbe qui contient l’image de ce qui monte à la surface de l’eau et disparaît dessous, un peu comme une nageoire apparaîtrait puis plongerait à nouveau
ce serait plus simple finalement de ne garder que l’idée d’une danse hasardeuse, une anarchie d’apparitions et de disparitions, mais je veux absolument garder l’eau à l’esprit. Le thème de l’eau n’est pas là par hasard. L’eau chez VW – et sans se rapporter à son suicide – est gorgée de sens, positifs/négatifs, à la fois appel des profondeurs, miracle de vie et de mort, vertige (comme dans la flaque où Rhoda pense se déliter), et substance primordiale (les marais qui regorgent de souvenirs du passé, comme dans la nouvelle La Fascination de l’étang)
mon choix de « les chapeaux surgissent, plongent » peut sembler étrange, lourd ou maladroit mais j’y tiens
c’est quand même une décision difficile, car l’expression revient en leitmotiv, et ce pourrait être compris comme une maladresse répétée (tant pis)

 «  I am conscious of flux, of disorder ; of annihilation and despair. If this is all, this is worthless.  » ce devrait être traduit par « j’ai conscience du flux, du désordre, de l’anéantissement et du désespoir » mais je choisis d’entendre/comprendre cette "conscience de" comme "une sensation de"
à plusieurs endroits, j’ai éliminé les points virgules pour rendre des phrases plus souples, moins découpées, mais là, je ne dois surtout pas le faire : ce point-virgule trace une limite concrète entre ressenti externe et interne
d’un côté le flux et le désordre extérieurs, que je force un peu en les liant ensemble avec « ce » et « ce » que je répète, et de l’autre côté du point-virgule la sensation interne de Louis, ce qu’il subit, immanents, inévitables, et je garde l’article défini pour accentuer leur force, car il ne s’agit pas d’un anéantissement ou d’un désespoir particuliers ou passagers, c’est la sensation d’anéantissement et le désespoir.
« Je ressens ce flux, ce désordre ; l’anéantissement, le désespoir. »

 «  catch with the tail of my eye some far horizon », le coin de l’oeil, le bord de l’oeil, le champ de vision m’a causé des problème
c’est qu’en français, "le coin de l’oeil" a une connotation dérisoire, de peu d’importance, alors qu’ici, ce qui est capté du coin de l’oeil est au contraire, non seulement immense, mais révélateur. C’est cette capacité de Louis de voir un horizon derrière les petitesses qui le fait agir et penser comme il le fait, c’est constitutif de sa personne
je choisis donc de masquer l’expression « coin de l’oeil » trop anodine, mais pour respecter les proportions (les petitesses qui cachent l’horizon) je convertie en temps : c’est le temps accordé à ce qui est vu qui est restreint, parce qu’il est furtif, et l’espace rétréci du coin de l’oeil devient le temps rétréci d’une seconde, donc « j’aperçois, furtif, un horizon au loin »

 «  Bring us back to the fold  », ramène-nous au bercail, prends-nous dans ton giron, fais-nous rentrer dans le rang, aucune de ces formulations ne me satisfait, car je veux rendre une idée double, celle d’une retour et d’un embrassement, comme si Louis pouvait accueillir et prendre soin de toutes ces choses, et celle d’un rangement méthodique et précis, d’un plis à réaffirmer
je me résous à « "Prends-nous et réorganise-nous », mais je sens que c’est à revoir et que la réponse à cet obstacle trouvera peut-être plus tard une autre voix

 gros obstacle : «  a few words, but poetry  »
littéralement, "quelques mots, sauf des poèmes" 
mais je doute, car ces quelques mots sont ceux d’un poète mort et la tâche de Louis est de traduire pour qu’il soit accessible le poème (contenu dans le livre, d’après ce que je comprends)
alors si c’était « quelques mots, mais ce sont des poèmes » ?
je garde cette formulation, « peu de mots, mais de la poésie », qui me semble cohérente, mais avec la conscience d’un tâtonnement, c’est difficile de passer outre ce que l’on croit comprendre, difficile de ne pas appliquer sa façon de voir, difficile de trouver l’écart qui permet de se couler dans une autre pensée, de lui laisser l’espace
je suis rassurée en voyant que Cécile Wajsbrot et Marguerite Yourcenar ont fait le même choix

 «  I oppose to what is passing this ramrod of beaten steel  », à ce qui passe il oppose littéralement a ramrod, un écouvillon, ce qui sert à nettoyer le canon des fusils, un outil précis et technique qui peut prélever, aseptiser en médecine, une brosse ronde qui atteint des cavités, ne laisse aucune perturbation ou scorie en repos
je garde l’idée d’une froideur antiseptique, abrasive, et je laisse de côté le mot « écouvillon » trop typé et précis pour ne garder qu’une idée large, la brosse, une brosse d’acier qui travaille sans états d’âme, et qui peut amener l’idée de rudesse indifférente
(mais une baguette conviendrait aussi, rappelant le côté maître d’école)

 en fait le grand questionnement de ce passage est la traduction de «  I will reduce you to order  »
il y a l’idée de force autoritaire, de maître qui ordonne (dans les deux sens, donnant ses ordres et remettant en ordre), surtout en regard du passage précédent ou Louis était vu comme faisant le grand total des vies et biffant d’un trait d’encre rouge son addition
je peine à trouver une formule qui me permette une phrase aussi courte en français qu’en anglais (je tente un « je vous contraindrai à l’ordre » qui sonne un peu ampoulé et complexe, pour une idée aussi simple que de faire place nette)
je choisi finalement « je vous remettrai en ordre », mais cela me semble trop neutre, trop factuel, il y manque le caractère féroce de Louis, la marque qu’il veut imprimer. J’ajoute donc « de force », « de force, je vous remettrai en ordre »

 ci-dessous les autres traductions auxquelles je me réfère, non pas pour m’en inspirer (ou copier, en mauvaise élève) mais pour décrypter de quelles façons les obstacles que j’ai dû franchir ont été escaladés autrement
(cet autrement, c’est la littérature au fond) (l’espace s’ouvre avec cet autrement)

(Michel Cusin)


 Michel Cusin choisit lui aussi d’ajouter « de force »
il prend le verbe « caracoler » pour les apparitions et disparitions de chapeaux
dit de « petits hommes », garde guillemots auxquels il ajoute des « plumes glissantes de mazout »
(ce que j’écarte, car un oiseau aux ailes imbibées de mazout est en danger, s’en va mourir, immobilisé et asphyxié, et là les petits hommes médiocres montrent par leurs glissades et leurs vols fluides, leur geste de singes agiles qu’il sont parfaitement adaptés et nullement menacés)
il choisit la baguette d’acier martelé pour a ramrod
il choisit « excepté de la poésie »

(Cécile Wajsbrot)


 Cécile Wajsbrot choisit d’utiliser buns sans le traduire, ainsi que custard, et garde « obscurcir » pour la vapeur
les chapeaux sont enlevés et remis
chez elle la femme aux dents gâtées défaille (ce que j’avais choisi aussi au début, puis remplacé par "hésite", en regard de la reprise du terme hésitations en fin de passage)
elle aussi décide que le livre contient des poèmes
elle utilise le verbe soumettre, parfaitement juste (mais que je ne savais pas amener pour que ses sonorités me conviennent)

(Marguerite Yourcenar)


 Marguerite Yourcenar choisit aussi de ne pas garder l’idée de « bercail » ou de giron, et dit « Redresse-nous, réorganise-nous »
elle s’affranchit de la parenthèse qui peut sembler perturbante et place la femme aux dents gâtées en fin de phrase, pour semble-t-il donner une logique
(ce que je n’ai pas fait, car justement, l’intrusion de la femme dans cette parenthèse est tout le travail de VW de captation du réel et de son désordre, de ses chocs)
elle ajoute des expressions comme « cheville ouvrière », ou « fade et épaisse odeur » et se déleste des bannières ou banderoles qu’elle efface
ses chapeaux s’inclinent, se relèvent, puis sautillent au hasard
Elle décide elle aussi que le livre contient des poèmes, et même insiste en remplaçant words par vers, « peu de vers, mais tous parfaits »

 (oui, comment douter du fait que traduire est bien un travail de re/création et qu’il est personnel, chacun pris dans ce mouvement qui met à jour, dévoile, chacun accompagné ou prisonnier de son optique, de ses capacités et de ses désirs)

(work in progress, toujours)

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)</

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