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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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marges #3

mardi 19 décembre 2017, par C Jeanney


- sorte de journal de résidence à l’IMEC - abbaye d’ardenne -


(manuscrit de La Vie matérielle)


Chaque page écrite au recto seul, le verso blanc. Comme l’envers d’une toile. Comme si les pages du livre, plus tard, une fois toutes étalées les unes à côté des autres, représentaient toutes ensembles un décor, un paysage de mer, un pont qui mène au Havre, des bars, l’alcool, des écrans de télévision, et qu’en passant derrière ce qui est visible ne pouvait se voir que du blanc. L’envers d’un tissage. Une ruse.


Lorsque ce n’est pas le cas, qu’une bande de papier, mi tapée à la machine mi manuscrite est couverte de mots sur son recto et son verso, c’est un pic d’émotion. Ces bandes sont très peu larges, fragiles, souvent recollées par de petits aplats de papier blanc (soit recouverts de mots, soit vides).
Tout à la fin, il y a une suite de recettes de cuisine (« Le Thit Kho, la Potée, les Boulettes à la POKJARDKY soi-disant, les Boulettes sans nom ») avec la suite d’injonctions habituelles (découper, faire mariner) et des ajouts plus personnels (« j’ai parfois raté ce plat mais je ne sais pas pourquoi. Je l’ai parfois réussi au-delà de mes espérances mais je ne sais pas pourquoi non plus »).


Chaque feuillet est numéroté en haut à droite. Parfois deux fois, un numéro raturé, un autre au feutre noir épais, ou même rouge.

Les p forment parfois des boucles sous la rapidité du geste, comme des l inversés.
Lorsqu’un mot ou une suite de mots est raturée c’est toujours plusieurs fois, au minimum 3, parfois 5.
De temps en temps un NO ou un NON écrit au crayon de papier dans la marge, et le paragraphe barré d’un trait oblique avec ce même crayon de papier.


J’ai du mal à rendre au conservateur la deuxième pochette du manuscrit, même si j’en ai fait le tour. Un simple feuillet plié en deux entoure le tout avec la mention « à revoir, imp en continu ».
Dans la troisième pochette (4 décembre 1986) je vois mieux. Il y a ces grandes étendues d’écriture tapuscrite non reprises, ou juste un mot ajouté qui s’infiltre. Le mot « quand » est barré.


Tout à la fin, manuscrite, une longue phrase de déchaînement de voix, de peines qui finit par le départ de l’homme « frisé au visage talqué » et « j’ai pleuré longuement dans les bras de Yann. », le point presque invisible au bout, l’encre presque transparente comme si l’épuisement décrit était là, dans la main qui trace.

De voir ces manuscrits, « réellement », c’est comme un trop plein pour moi. Comme un repas trop chargé ou une odeur trop forte, et ma tête lutte petitement contre l’immense.


Dans la quatrième pochette, ce sont des photocopies et le bas de certaines feuilles est strié de lignes fines qui se rapprochent ou s’écartent et finissent tout en bas par des éclats noirs et pointus. Parfois les mots sont masqués par ces amas de lignes, parfois c’est juste une flèche au bout d’une longue courbe qui les traverse.

Il manque (très rarement) un mot, rajouté sur un arc de cercle. Une droite barrée de 2 tirets indique un espace manquant.


Il manque la page 1. C’est arrêté à la page 112 par « dans les îles ».


En allant chercher la pochette 5 je fais le lien : ce manuscrit dans sa pochette grise est celui du livre qui reste dans mon sac constamment (une vieille édition toute cornée et dont la couverture se décolle, des lambeaux de pellicule transparente, un livre d’usage, une sorte de talisman, comme le collier fabriqué par ma fille, un animal en plastique, un bracelet, un carnet rouge offert par ma mère etc.).
À la toute fin de la pochette 5 un tableau récapitulatif avec deux colonnes, Modifier, Enlever. Et l’écriture n’est pas la même, pas celle de MD, puisqu’un trait part de « les gens "comme si"  » et il est écrit «  MD va modifier ». C’est sans doute l’écriture de Yann, l’écriture qu’il avait dans ses lettres envoyées à MD et dont elle parle dans ce même livre. La pochette 5 est devenue un escargot, une conque à la construction fabuleuse où toutes les circonvolutions mènent où elles doivent mener, dans le centre parfait d’une pointe parfaite d’un coquillage marin immense. Les écritures s’y trouvent, fragiles et dentelées, mais font encerclement.


Ici on encercle ce qui vibre. La vie.

À un endroit une note : Stravinsky, Noces et Symphonies des psaumes.




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