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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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la chasse au tilde #14

lundi 4 juin 2018, par C Jeanney

Devant la pharmacie tu tournes à gauche. Tu ne t’arrêtes pas comme cette femme qui traverse en longue robe blanche, dentelles et volants, poussant devant elle un déambulateur muni d’une petite plateforme recouverte de skaï bleu molletonné où elle a posé des papiers, et parmi eux une enveloppe grand format, rigide, comme celles où se rangent les radios. C’est attendre qu’elle avait fait plus que tout. Plus que toute autre chose, attendre. Au bout du couloir où elle avait suivi son déambulateur (elle avançait très doucement et le couloir était très long, à tel point qu’avancer dedans équivalait au verbe attendre), puis dans la pièce minuscule style placard à balais, mais sans balais (placardée d’injonctions pressantes en plusieurs langues, enlever ses bijoux et surtout indiquer qu’on n’était pas enceinte, qu’on soit homme, vieille femme à volants ou enfant), puis attendu encore après la mise en route de la machine, pivotante, contrariante, rutilante, exaspérante, intrusive, un miracle de technicité. Elle attendrait à la pharmacie. Sans rechigner pourtant. Le temps des soins est toujours plus étiré que la normale. Quand le corps prend l’avantage, il se venge de toutes les minutes qu’on ne lui a pas consacrées exclusivement. Il les rassemble, les pousse, en bourre un sac de temps jusqu’à ne plus pouvoir, jusqu’à ce que le poids du sac soit assez lourd pour figer le corps sur place, pour l’immobiliser. On attend la prise de sang. On attend la piqûre de la prise de sang. On attend les résultats de la prise de sang. On attend les explications des résultats de la prise de sang. Une seule radio ou une seule prise de sang possèdent un pouvoir majuscule de distorsion du temps, et en face, quoi faire, à part attendre. La trajectoire de la femme en robe blanche à volants, dentelles et déambulateur est redondante à elle-même, il n’y a pas d’écarts trop brusques pour éjecter l’attente et elle le sait. De ton côté tu chasses le tilde, cet animal mythique dont la forme symbolique ressemble à une moustache frisée sans direction marquée (pour la licorne la corne, pour le lion la crinière, le cheval son galop, la pieuvre ses tentacules, pour le dahu ses jambes trop courtes, et pour le tilde une arabesque asymétrique lancée sous un nez absent).

la chasse au tilde #1
la chasse au tilde #2
la chasse au tilde #3
la chasse au tilde #4
la chasse au tilde #5
la chasse au tilde #6
la chasse au tilde #7
la chasse au tilde #8
la chasse au tilde #9
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la chasse au tilde #11
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la chasse au tilde #13

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