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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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journalier 30 01 20 - ’il se passe un truc’

jeudi 30 janvier 2020, par C Jeanney


 et j’en arrive à cette constatation : la visibilité, c’est le pouvoir – on nous avait vendu un monde ouvert et les capacités de se projeter grâce aux programmes dans des tuyaux de l’autre côté de son lieu d’habitat, par exemple d’atterrir en un tour de mollette et un cliquement sur une nationale au pied des monts rouges australiens, et à chaque clic on avançait, virtuellement, ou bien on prenait des virages en doublant des camions immobiles, longeant le vert foncé d’une forêt entre donaueschingen et schwenningen, on pouvait s’étonner que les panneaux étaient pratiquement semblables aux nôtres, comme les pissenlits, dénués de nationalité – on se disait ce monde, notre monde, 3G, 5G, connecting people, est maintenant entièrement disponible, on pouvait même devenir l’un de ces voyageurs modernes 2.0, qui racontaient des aventures épiques en décrivant de façon détaillée des rues de bruxelles et de cincinnati sans y avoir mis les pieds – évidemment on avait bien remarqué que certaines zones restaient quand même inaccessibles, les voitures autonomes de cartographie évolutive en 3D n’ayant pas fait le job pour des raisons complexes, politiques, rationnelles – si tu n’es pas visible sur la carte disait-on, c’est soit que tu n’existes pas, soit que tu n’en vaux pas la peine, soit que ta non-existence est questionnable, car que caches-tu ? – on restait persuadé que quelque chose à cacher était une preuve de culpabilité – on avançait persuadé, un monde ouvert, virtuellement et physiquement ouvert, on partageait des photos de nous à la seconde même où elles étaient prises devant les portes d’un cachot de guyanne ou sur le parvis du taj mahal – ainsi la visibilité était la vérité, c’était vrai, nous montrions en temps réel où nous étions, c’était vrai, nous nous rendions en quelques clics dans une rue réelle, une rue vraie, une rue mise à jour, et puisque nous étions visibles, puisque nous savions naviguer en terres de visibilités, nous étions vrais, nous étions légitimes – le visible rend vrai, le visible rend légitime – aussi les écrivains écrivaillons non publiés par des maisons visibles étaient soit inexistants, soit mauvais, soit questionnables – aussi les enfants mis en garde-à-vue étaient soit inexistants – une intox – soit mauvais – des délinquants – soit questionnables – qui a intérêt à distiller le chaos ? méfions nous – aussi les morts en mer étaient soit inexistants — qui en parlait ? — soit mauvais — des envahisseurs — soit questionnables — qui a intérêt à ce que ce trafic prolifère ? — aussi les suicides et les immolations par le feu étaient soit inexistants – une frange très mince, une minorité – soit mauvais – des gens inadaptés, un peu fous – soit questionnables – il y avait sans doute de multiples raisons pour expliquer leurs gestes, n’allons pas trop vite – il y a des tiraillements – le monde visible montre parfois sa part illisible invisible – et le pouvoir n’a que trois options : soit ça n’existe pas – tout le monde s’accorde à dire que tout va bien – soit c’est mauvais – une minorité haineuse – soit c’est questionnable – des judiciables, des criminels que la justice va prendre en charge – pendant ce temps-là les invisibles piaffent, ils tapent du pied et crient « regardez-nous, voyez, nous existons » — ils attendent que le pouvoir de la visibilité les accueillent comme des interlocuteurs valables, ce que le pouvoir ne peut pas faire, à moins de se dédire, à moins de perdre tout pouvoir — il reste la marge — on a la marge ? — on ne sait pas, on apprend, on s’époumone, on se console — le pouvoir prend aussi le pouvoir sur l’affect, sur les affects — c’est l’action-réaction — dans les marges les éphémères sont moins nombreux selon une étude récente — ils vivent encore le même laps de temps, c’est vrai, encore un peu

photo @severine_pa

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)

Messages

  • et on s’agaçait tout de même, le désir de voir devenait plus grand, parce que bien entendu que la machine ne passe pas dans les ruelles des villages provençaux, tant pis, d’ailleurs ça les préservaient... mais le désir d’Algérie, de Congo, de Togo etc... de tout ce qui n’était pas Dakar ou l’Afrique du Sud, et puis les immensités asiatiques croissait (d’autant que pour montrer les gens émergeant coquets de maisons se désintégrant dans la boue il y avait l’Amérique du Sud, sauf bien entendu le centre des villes et quelques banlieues cachées derrière des murs - quant aux douleurs on pouvait se reporter aux images inondant les médias, sauf que bien entendu c’était en suivant les vagues de la mode, et personne ne montrait les suites d’un tremblement de terre au Pakistan ou.... alors il y avait les mots

  • je ne saurais dire si c’est exactement ce dont tu parles, mais je lis en ce moment un livre écrit par une femme alors jeune (25 ans, par là), qui aidait les brigades rouges lors de l’enlèvement d’Aldo Moro (c’est entre mars et mai 78) - elle marche dans les rues, peut-être est-ce quelques semaines avant, l’hiver à Rome tout à fait probablement, elle dit (elle écrit - le livre date de 1998 - elle a pris perpétuité) :
    Regarder les immeubles où se déroulent des vies ignorées tout en me posant des questions est une habitude qui ne m’a jamais quittée. Je le fis aussi plus tard, lors de mes transferts d’une prison à l’autre, dans les fourgons blindés. Je continue de le faire en me demandant si les gens sont vraiment solidaires entre eux, s’ils haïssent véritablement les immigrés, s’ils sont prêts à changer un peu leurs habitudes afin de respirer un air plus sain. Il s’agit d’une sorte de questionnement cosmique. Il y a vingt ans, je répondais : "Oui je parcourrai la route de la révolution, quel qu’en soit le prix." Aujourd’hui je me dis : "Je ne veux plus faire de mal à personne, jamais". Deux extrêmes qui à leur façon se ressemblent.
    Un truc, oui. (et merci de nous le dire)
    (Anna Laura Braghetti, Le prisonnier, chez Denoël - épuisé mais trouvé par la grâce de ce réseau, 6,60 euros franco de port - à l’époque 130 francs )

  • Invisibilité d’un pouvoir qui jette de la poudre de perlimpinpin tous les jours aux yeux (avec LBD ou pas et T-shirt ou pas) des citoyens naïfs ou conscients, ou devenus inconscients parce que dans le coma artificiel, invisibilité de la répression car dans les esprits, transmise par le ronron des chaînes aux ordres, le coronavirus de l’obéissance intégrée sinon désintégrée, " La désobéissance civile" de Thoreau est toujours en vente libre, fâcheux oubli, et la réformite du petit Chef poursuit son chemin avec l’aide du syndicat le plus implanté, dit-on, en France (CQFDT), les élections municipales déjà trafiquées pour les villes de moins de 10 000 habitants, sauf avis contraire in fine, tout va bien, le quinquennat est sur les rails avec les primes données aux non-grévistes de la SNCF, quel beau pays est devenu la France, les voitures Google ne sont que le premier tour de roue ou de vis : après la reconnaissance "urbaine", la reconnaissance faciale, Estrosi en "premier de cordée", et Fillon-les-mains-blanches célébré sur les petits écrans, "mettrait-on le générale De Gaulle en examen ?", mais oui, il l’a été par Pétain, il faut relire ton Histoire de France, châtelain de Beaucé, avec ta femme candidate aux prochaines élections, oui, sérieux ?, bah, ne faisons pas de politique "haineuse", restons dans le rang, les "violences policières" n’existent pas, comme l’a encore répété Macron au festival de LBD à Angoulême, aveugle et ment.

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