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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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Arnaud Maïsetti, dans Migrations (#vaseco de mars 2010)

vendredi 5 mars 2010, par C Jeanney

Temps de migrations au-dehors, et déplacements des forces, bascules des équilibres — indices que le jour s’allonge (et finira bien, une heure, par rejoindre l’aube), et que le froid s’éloigne (ou recule, reprend des forces avant d’autres assauts). Alors, quelle est ma position ? Et quelles, mes directions ? C’est qu’à force de prendre un train après l’autre, ne plus savoir de l’aller ou de retour ce qui tient de l’aller et du retour, et pour où et vers quoi : c’est qu’à mesure que le texte en cours s’avance, rétractant en moi sa possibilité, le désir de plus en plus épuisé de recouvrir tous les autres récits ; et que plus je décris des courbes dans cette ville nouvelle, plus j’en épuise les contours — et au réveil, sensation d’habiter toujours un autre temps : je mets de longues minutes à me situer dans l’espace et le temps, dans mon corps même. Dès lors, quelles ?

Vers dix heures et demi ce jour, vacarme de cris dehors, comme des bêtes qu’on égorge : au dessus de la ville, par centaines et en lignes, des oiseaux passent en hurlant. Temps de migrations soudain : et sur quelques minutes seulement, les hurlements depuis l’ouest, et les passages par vagues — comme des escadrons de combat venus de la mer, et qui ignorent en bas nos regards hantés tout le jour par ces cris.

Ce qui migre, d’un seul mouvement (et je rêve, un peu, le signe qui a déclenché cela, le battement d’aile du premier oiseau derrière lequel, tous, sont partis), dans la profusion des nuages, le crissement des gorges : je me le demande. La geste répétée des saisons, le mouvement de plaques des vivants qui les font aller, d’un bout à l’autre du monde, peupler ses évidences, les territoires les moins hostiles.

Je me demande, alors : si dans quelques mois je serais encore là, à la fenêtre de la même chambre, tapant le même texte et arrachant chaque mot comme ma propre peau, comme j’arrache mes ongles sous la peur : je me demande si je serais là, oui ; à les voir passer en retour, s’élancer comme tout à l’heure par dessus la ville et traverser l’océan à l’ouest, s’arrêter finalement au signe du premier oiseau plus fatigué que les autres, plus sûr de la position des terres.

Et si je ne suis pas là : où ?


Arnaud Maïsetti

qui prend ma place comme je prends la sienne.

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