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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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Elizabeth Legros Chapuis dans Au château des mots (#vaseco d’août 2012)

lundi 6 août 2012, par C Jeanney

Ce jour échange entre tentatives

et Elizabeth Legros Chapuis

du tout jeune blog Fragmentaire ses textes courts, sa mystérieuse ambiance...

(et son site Sédiments est à visiter ici)

Notre vase communicant se place dans la catégorie express, puisque décidé à la dernière minute ou presque, le jeudi 2 août vers 10h du matin... et nous avons fait l’échange de nos textes et photos le même jour vers 20h, c’est-à-dire hier soir...

Merci à Elizabeth de sa réactivité enthousiasmante ! et surtout de son texte que voilà ci-dessous :


Au château des mots

Cela devait être court, on me l’avait bien précisé, et le lézard de service me l’avait confirmé. Court et rapide. Cela tombait bien d’ailleurs, je n’avais plus beaucoup de mots, juste quelques maux épars çà et là. J’allais devoir les collecter, les ramasser avec ma pique, mais où l’avais-je rangée cette pique, après la révolution ? Dans le local à vélos sans doute, et on venait d’équiper ce local d’une nouvelle serrure, mais où en avais-je mis la clef ? Saint Antoine, c’est le moment de montrer tes talents… Reprenons : la clef doit se trouver… non, peu importe, je ne vais tout de même pas me resservir de ces vieux mots usés, effilochés, un peu sales, qui ont traîné partout. Je veux des mots tout neufs, éclatants, chatoyants, scintillants, des mots où l’on aura envie de se lover, de se plonger dedans comme dans un grand vase d’eau pétillante, des mots que l’on voudra s’enrouler autour du cou comme un boa amical. Ah, ce n’est pas forcément facile, mais j’en ai des réserves, que je conserve pour les grandes occasions ! Attention tout de même, ne pas faire pour autant dans le grandiloquent, l’emphatique, le boursouflé, réserver ce genre de choses à mes ennemis habituels, les envelopper dans des flatteries tellement dithyrambiques qu’ils ne pourront qu’en constater la ridicule exagération… mais je m’égare, comme disait Gustave, sur l’oreiller, à sa copine la belle Salammbô. Commencer par le commencement : le vélo volé, le voleur envolé, le vil volage avalisé. (C’était avant la nouvelle serrure, bien sûr. C’est Louis Seize qui l’a installée ; ça aussi c’était avant la révolution, bien sûr.) Pas trop de majuscules non plus, c’est indigeste. L’ennui, c’est que les mots les plus disponibles, je les conserve dans les sacoches de mon vélo, et une fois le vélo volé, où sont les mots allés ? les mots ailés ? Mais ce n’était là que le tout-venant des mots, entassés pêle-mêle avec quelques bouts de phrases toutes faites, de celles qu’on peut assembler vite fait avec juste quelques chevilles de bois de cèdre. Tandis qu’aujourd’hui il me faut du sur mesure, de la phrase ciselée à l’ancienne, mot après mot, les adjectifs bien polis, les adverbes dument passés au rabot ! et les verbes ! gloire aux verbes ! à moi le Verbe, que je devienne verbeuse ! Avoir les genoux clairs, les coudes francs, les pieds heureux. Je monte en sifflotant, l’air faussement dégagé, le sentier sinueux de la montagne, au sommet de laquelle se dresse le château des mots. L’ascension sera longue, le chemin est montant, sablonneux, malaisé, et mes sandales rongées par une maladie héréditaire. Scandaleuses sandales ! quels vandales me les ont vendues ? quels perfides à la langue bien pendue ? Continuant l’escalade, je vérifie négligemment que j’ai bien emporté le mot de passe, plié dans ma poche fessière, afin de franchir sans encombre le pont-levis, ainsi que quelques piécettes pour me concilier la bienveillance des gardes : allez donc boire à ma santé, manants, pendant que je ravagerai les coffres du château. Je m’emparerai des mots les plus beaux, les plus profonds, ceux qui sont façonnés comme des oignons, où chaque peau enlevée découvre un autre sens, lance dans une autre direction. J’en remplirai ma besace sans vergogne, et je dévalerai le sentier à toute berzingue, en me bourrant de berlingots. J’atteindrai la ville au crépuscule, je suivrai rêveuse le bord du canal, et je trouverai à l’endroit prévu le cahier qui attend, persévérant et quelque peu circonspect, de recevoir la visite de ma plume. Je lui en fournirai tout un édredon, je les lisserai délicatement du bout des doigts, puis le mettant de côté, je me dirigerai vers le maître absolu, l’ordinateur aux yeux clairs, à la mémoire fringante, et le laisserai me diriger à sa guise.

Elizabeth Legros Chapuis

qui prend ma place

comme je prends la sienne ce jour

Les autres participants à ce vase communicant du mois sont visibles et visitables depuis ICI, grâce à Brigitte Célérier.”

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