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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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[Oblique (textes /premier jet)]

la voix s’installe

lundi 28 octobre 2013, par C Jeanney

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la voix s’installe, elle est très calme, ses mains arrêtent de trembler. Elle dit qu’elle ne sait pas quoi faire de la petite couverture blanche, que c’est une chose très importante, accidentelle et fondatrice, qu’elle n’a pas fini de la dire, qu’il lui manque des passages entiers, dans un hôtel à Gentilly où Protégé est le plus grand, des cinq enfants c’est elle la plus petite, elle vient juste de naître, elle va mourir, ils en sont sûrs, brûlante de fièvre, ils ont acheté une couverture, une toute petite et toute blanche qui servira pour le linceul, j’allais mourir elle répète, tu n’es pas morte je lui réponds et puis tes mains ne tremblent pas, et tu parles très clairement, c’est qu’il y a ta voix dans ma bouche elle reprend en tenant ses mains, elle n’a pas fini de le dire, ses genoux ne sont pas tordus, dehors le vent et son oblique ont éparpillé les jouets, les chaises, les ballons, les raquettes, l’herbe du jardin est couverte de bonhommes multicolores, comme si l’été sous la colère avait retourné la maison, un été capricieux enfant, une couverture de couleur grise a pris la pluie, s’est toute gonflée et ramassée contre la haie, il faudrait l’étendre pour qu’elle sèche en faisant des gestes précis, je parle sans arrêt, même dans la voiture, c’est constamment que je babille, je ferme la porte de ma chambre en croyant arrêter les sons, je lis La Conscience à voix haute, le livre tenu d’une seule main, et l’autre main bouge dans l’air, bientôt le livre se casse en deux, sa tranche se ride de pliures, la page de l’œil se décolle, j’articule très clairement, je peux le dire sans le lire parce que c’est entré dans ma tête, comme on lance des flèches aux étoiles, je suis conduite et rassurée, le licol de l’âne de la vieille, dans mon cerveau ces routes solides, chaque bloc lié avec des nœuds de fer, directement, très clairement, l’ombre des tours comme dans ma nuit les pans de la petite couverture blanche, l’ombre sur le jardin bouge, s’enfuit, revient, il n’a pas fini de sécher


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Messages

  • et je comprends pourquoi je tournais en rond dans mon manque - devais deviner en partie
    mais là c’est plus beau, tendre, profond et évasif que le pensais - merci m’en vais en le gardant rodant en crâne

  • (je crois que le père de l’Employée aux Ecritures s’était installé à l’hôtel, à la fin des années quarante, lui aussi, mais venant de l’ouest : il dormait les nuits de semaine à Montrouge, Malakoff ou Clamart, la petite n’était pas née, elle est la dernière) (et moi, vois-tu, durant le mois de juillet soixante, vers la fin - je dis quelques nuits, mon frère dit quelques semaines, mais il a près de quatre ans de plus, et à ces âges, ces choses comptent plus- elles comptent toujours- l’hôtel s’appelait "de l’Univers" et les lits étaient trop hauts) (c’était l’époque de la quatre cent trois bleu nuit) quelle accélération tout à coup (on pourrait peut-être accompagner, en fond sonore, par cette musique de Bach, passion selon saint Mathieu, dont s’est emparé Tarkovski dans cette merveille de plan où brûle la maison...) (là : https://www.youtube.com/watch?v=rL-0-lxv40M#t=329)

  • Toutes les phrases en oblique … comme on traverse le monde, et comme il penche, parfois, d’un côté ou de l’autre …

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