TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

archives

TENTATIVES PONCTUELLES //

projets/germes

le soulèvement (8)

mercredi 28 janvier 2015, par C Jeanney

Un claquement, deux explosions.
Le cube bardé de lanières de métal au milieu d’autres cubes, zone commerciale, résidentielle, Allée des merisiers, à quoi ressemble un merisier.
Des champs de Petites choses : le soulèvement soulève tout, sans considération.
Ça tressaille tressaute et c’est bon signe, encore en vie, dans la Flûte enchantée, dans la piste cyclable entre les briques, le blizzard historique sur New-York, catadores au Mozambique, l’hôtel explose, l’handicapé mental exécuté, c’est bon signe, la bordure de ciment et les arbustes plantés avec une régularité de métronomes, une régularité de bâtons minces, sur les routes de montagne on plante des piques rouges pour signaler la route sous les tombereaux de neige, c’est bon signe, garder le cap, un rescapé, parures de lit à prix compétitifs, péages, tarifs en régression, victimes de harcèlement, R, K B, P M : qui a les plus belles fesses ?, on trouve gravés sur des pièces de monnaie l’enfant qu’on baigne, la femme à la cuisine, mais non, c’est un passage de pont, l’enfant un voyageur et la femme un passeur qui s’active pour que le mécanisme emmène le bac sur l’autre rive, on se trompe, on s’est trompé, on a mal regardé, on n’a pas vu, on interprète faussement, mais comment faire quand, sur un casque, un compas et un épi de blé font des aiguilles d’horloge pas encore inventée.
Elle roule près de la baie. Un carrefour pavé de rouge permet d’accéder à la mer, on s’approche, on sursaute au dos d’âne, on se dirige vers le point final qui prend toute la place.
Gazette d’Août 1872 - La fin du monde. - On sait que la fin du monde avait été prévue pour le 5 de ce mois, elle n’a pas eu lieu, parce qu’elle a été, paraît-il, remise au 12 août, selon les uns, et selon les autres, au 15 août, fête de l’ex-empereur.
La flaque gèle, puis devient eau sous le soleil, le soir regèle, mais imparfaitement, par fragments tous en décalage, et on dirait un puzzle défait que personne ne saura compléter.
Sur la céramique blanche un grain de poussière se déplace, il a l’apparence de la vie.
Une instance, le beau mot. Elle devrait, elle doit faire face à une instance, portée par le ronronnement rassurant de l’aspirateur (aspirer l’instance), le bourdonnement de la mer (rouler l’instance, la malaxer et faire s’échouer l’instance) et dans le silence soudain cru, bien plus cru, accru par le moteur du camion et les bruits des semelles, s’emparer de l’instance avec ses seules capacités, il faudrait, il faut faire l’état des lieux, capacités de sembler vouloir dire qu’au milieu des nuances, des couleurs étranglées, il y a du dire, du dire en grappes, grappes d’explosions, deux claquements, du dire à extirper, une instance comme une autre, et le mot comme colle aux pieds, n’a pas encore trouvé de synonyme plus vrai que lui, plus vrai qu’elle même, elle ne peut, elle ne va rien réinventer. Un coin du jardin un chat, tête tournée de gauche à droite, le rouge-gorge, toujours le même, ou elle se plaît à le penser, le chat élongation totale contre le tronc, il fait ses griffes (le tronc du vinaigrier).
Pour se protéger du gaz méthane toxique qui s’échappe en permanence des immondices, beaucoup d’enfants portent des masques, fabriqués à l’aide de vieilles chaussettes ou d’autres habits avec des trous découpés pour les yeux.
Des explosions, mais on les entend moins déjà.
On dirait que le bruit s’éloigne. On n’est pas sûr. Elle a envie de demander aux autres, si eux aussi ils entendent moins les explosions. Demander à la dame au labrador. À celle au bonnet rose. À celle qui porte des lunettes à branches d’éclairs. À l’homme en gilet jaune fluorescent sur le passage piéton. L’homme qui sort de la Poste. La dame très vieille qui porte un pansement sur l’œil (il faudra qu’elle en dise, qu’elle en sache plus un jour sur ce pansement, sur ce qu’il recouvre, sur ce qu’il ne recouvre pas).
Elle noue son foulard, le vent souffle.
Des voitures quittent le parking. S’éloignent de la jetée qui lance des ponts d’ombre derrière elle. Au-dessus d’éclats de noisettes à la surface de l’eau, les vers de sable. Dans les bosselures et les masses tordues redites en tresses. Sur les lignes d’eau qui plissent. Qui scintillent autour des obstacles.
Elle regarde sa montre, rassemble ses affaires.
Se baisse plusieurs fois, se relève, la lourdeur des gestes simples et leur poids. Comme si quelqu’un d’autre soulevait son sac. Le besoin de sentir le poids pour s’assurer que c’est bien elle, elle se baisse, elle lève plusieurs fois le sac, la bandoulière cisaille un peu la peau, l’angle du cou. Les enfants rentrent de l’école, dessinent des seigneurs chauve-souris avec deux yeux qui pendent. Ils cherchent leur feutre préféré, couleur bronze.
Le long de la promenade, elle longe l’envers du casino avec ses portes de carte postale, bleues, jaunes, vertes, alignées comme des cartes à jouer. Quelqu’un trace sur le ciment frais des lignes qui font croire que la route est pavée.

le soulèvement (1)
le soulèvement (2)
le soulèvement (3)
le soulèvement (4)
le soulèvement (5)
le soulèvement (6)
le soulèvement (7)

.

(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)

Messages

Un message, un commentaire ?

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.