TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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la vieille femme à la carabine

attention

vendredi 4 décembre 2020, par C Jeanney


La vieille femme à la carabine s’informe de ce qui se passe un peu partout. Elle possède un capteur qui fait révélateur, un outil qui grelotte et pince l’oreille lorsque les nouvelles ne montrent pas ouvertement leur nature.
Par exemple il y a beaucoup de citations et la vieille femme se dit que ce n’est pas simple d’entendre, d’entendre la musique élargie. Chaque citation est comme un instrument qui joue dans son placard, qui répète ses notes menues, qui coince, s’énerve, fait canard glapissement ou douceur vocalise. Ce qui est difficile — mais c’est à ça que sert le rocking-chair, à ça que sert son balancement et la carabine immobile — c’est d’essayer d’entendre en s’éloignant un peu le courant sonore que forment les instruments épars. Tout ça donne une musique. Tout ça donne une couleur. Tout ça donne une révélation. Tout ça révèle une intention, l’intention d’un corps qui décide d’en comprimer un autre, c’est ce que ça dit.
La nuit est calme. On n’entend pas les brisants, mais ils existent. La lumière du lampadaire tombe sur le chemin, court sur la façade de la grange, ralentit sur les marches blanches sous le porche, s’arrondit sur le sommet de chacun des poteaux de la barrière. Cette lumière a une intention. Cette lumière dit, tout en tombant, en courant en ralentissant et en s’arrondissant, Attention. Attention, intention, c’est la même chose, la même gorge soudée par les mêmes cordes vocales.
C’est ce que fait la nuit, révéler la nature des objets. Les objets sont des citations. Le lampadaire avec la clarté qu’il répand accuse les profils. Ils ne peuvent pas se débattre ni faire semblant. Quand leurs bouches s’ouvrent pour articuler le pire, ça s’entend.
La vieille femme à la carabine voudrait prendre en notes tout cela, car on a besoin de documenter le réel, de documenter les chutes et de quelle façon les effondrements se chassent l’un l’autre en se donnant des coups d’épaule. En relisant les notes que l’on prendrait, on pourrait peut-être comprendre la lézarde sur le mur, son origine. Mais la vieille femme n’a pas envie de prendre en notes. Elle dit qu’elle est aussi vieille que fatiguée – elle dit ça avec ironie, en clignant de l’œil, elle ne croit pas vraiment au prétexte de la vieillesse ni à celui de la fatigue. Ce n’est peut-être pas vieillesse le mot juste, mais plutôt expérience. Ce n’est peut-être pas fatigue le mot juste mais plutôt affliction. Son expérience lui dit que chaque zone est une entité habitée, et elle n’habite que sous son porche et seulement là. Son affliction lui dit que chacun prêche pour sa paroisse, c’est l’expression. Et ça veut dire, chacun son lampadaire, son inquiétude et chacun ses stridences aux tympans. Il y a des placards partout. Des instruments partout. Des carabines, elle ne sait pas, elle sait juste que la sienne est sur ses genoux. Ça compte.

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)

Messages

  • Cette femme et sa carabine me font penser à cette autre histoire du type (ou de la vieille femme) un peu fou (folle) qui cherche la clé du côté du lampadaire mais ce n’est pas là qu’il (elle) l’a perdue (si elle ou il savait où la clé a été perdue, il (ou elle) irait la retrouver à cet endroit-là ( faudrait pas prendre les gens pour des imbéciles) mais comme c’est la nuit,il n’y a de la lumière que là... (moi aussi, je suis (ces jours-ci je me sens plus) vieux et fatigué : mais ces trucs-là, c’est (plutôt) (aussi) dans la tête comme on sait - ça passe (je me balance...)

  • Je crois l’avoir reconnue : elle a un côté "fée carabine" (et c’est mieux qu’un LBD)...

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