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« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

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La dérive des continents de Philippe Maurel

jeudi 6 août 2009, par C Jeanney

« Quelques instantanés des étapes du plongeon. Bribes. Images saccadées du saut de l’ange. Décomposé comme le mouvement reconstitué par Muybridge. Au pas, au trop, au galop. Éternellement en suspension.
Des images qui construisent une histoire comme le ferait une lanterne magique.
 »

Le point de départ de La dérive des continents – parce qu’il en faut bien un – est un souvenir d’enfance, un incendie dans un appartement. « On dira que l’histoire se termine par le même incendie » indique Philippe Maurel à la fin de son texte, même s’il n’est pas dupe : la boucle accomplie n’est pas parfaitement ronde. Elle ne devait pas l’être d’ailleurs.

Si le point d’arrivée rejoint le point de départ, le trajet refuse la linéarité. Il s’éclate, lance ses bras multiples dans des directions divergentes, se déplaçant, parfois simultanément dans le temps et l’espace (un personnage montant dans un ascenseur, un autre avançant, à une époque différente, dans un train).
Les lignes se croisent, se dédoublent, bifurquent dans ce mouvement constant, dans le voyage d’un migrant nommé Santiago, la rencontre de Tito et d’une jeune fille, la fuite de Kader devant les moqueries…

« En provenance de Tui, le train entre en gare. Sans même laisser la vapeur se disperser, Santiago pénètre dans l’un des six wagons. Un homme coiffé d’une casquette aide la vieille à grimper sur les marches. Sans attendre que les portes soient toutes closes, le train reprend sa route à contre-courant de la rivière. »

Philippe Maurel utilise les images « comme le ferait une lanterne magique ».

Il passe du « DOSSIER 060366.
Objet : Démolition d’Habitat à Loyer Modéré
Cité Maurice Perez.
Inspection de l’enveloppe des façades intérieures.
Catégorie Papiers Peints.
Bâtiment B, premier étage.
 »
à la description d’un instant sur un balcon : « En dessous, le son de deux voix dialoguant sans éclat. Un couple de vieux qui n’ont pas quitté l’immeuble. Il tente d’écouter ce qu’ils disent mais leurs propos sont couverts par les cris plus lointains d’un groupe qui dispute une partie de football. »

Des réseaux sont parcourus, des voies suivies, le tout donnant l’idée d’une grande structure, une carte, un plan sur lequel l’auteur aurait surligné des itinéraires, chaque rue pouvant donner sur une ruelle proche, ou une impasse, ou un chemin non encore répertorié (on pense au PILI du métro parisien, avec ses diodes allumées selon la destination demandée).

Se repérer, s’orienter, se trouver pour se comprendre, organiser un monde ou chaque particule s’attache à une autre, tout comme les flocons de neige entre eux qui « Ne constituent de plus grands ensembles qu’après quelques secondes. Distants et légers, les flocons se sont liés les uns aux autres, ont recouvert, presque entièrement, l’espace visible dans l’encadrement de la fenêtre.  »

L’écriture est là pour relier, rejoindre, réajuster, rendre compte : un immeuble HLM va être détruit, tout comme ses fresques de papier peint, ses traces dans le linoléum, restes archéologiques ignorés, bientôt disparus avec cette « cité engloutie ».

« En construction, le chantier progresse, le réseau ne cesse de s’étendre, les connexions se multiplient, les espaces se réduisent. »

L’écriture lutte aussi, en établissant par exemple « la liste des lieux où je me suis perdu » pour parer l’oubli, la perte, la voie sans issue qui dit «  La page que vous recherchez est introuvable ou le lien est erroné. »

Publié dans la collection Zone risque, La dérive des continents tient de l’exploration littéraire, affective, contextuelle aussi. Philippe Maurel pose la perspective et joue de son placement : parfois collé aux objets qu’il décrit, parfois distancié derrière le filtre d’une narration ou les images d’un film.

Ses textes nous déplacent avec lui dans ce réglage de zoom qui grossit un détail, ou englobe le paysage dans son entier. L’impression finale est subtile, entre proximité, instantanéité et élargissement du regard, à l’image de ces nuages qui
« lentement se teintent de rose, se frôlent se rassemblent par petits groupes, semblent converser entre eux, prendre l’avis des uns et des autres à propos de l’état du monde. Une rafale et les voilà dispersés qui reprennent leur solitaire exercice d’observation »…

La dérive des continents de Philippe Maurel
disponible chez Publie.net

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