TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

ABC | PMG

B comme bones

lundi 1er janvier 2024, par C Jeanney

ABC | PMG
accompagne
Lotus Seven


Dans la maison inhabitée [1], PMG passe d’une pièce livide à une autre pièce tout aussi pâle.
Déterminé.
Peut-être qu’il aime ce lieu de blancheur.
Un no man’s land.
En contradiction avec le bleu éclatant du ciel et les odeurs d’eucalyptus de cette banlieue de Los Angeles où il habite.
Peut-être qu’il aime se rebeller aussi contre les paysages.
Il n’aime pas tellement les souvenirs.
Il n’aurait pas voulu être archéologue, brosser un os dans le sable avec un pinceau.
Il ne cherche pas vraiment s’attarder.
Il cherche la minute d’après.
Pas celle qu’il vient de dépasser.
Et comme Chris Rodley le filme, minute après minute, en lui demandant son avis sur avant (avant ?), il prétend être à l’aise, un peu hâbleur, mais, au fond, tout cela lui est inconfortable.
Il passe d’une pièce à l’autre avec fermeté.
Mais c’est une couverture.
Le présent l’a forcé à quitter son pays et à venir se cacher là, au milieu des eucalyptus, dans du bleu toujours bleu, bleu à en être obscène ; le bleu comme un échec, le bleu comme un isolement – il en parle, slight isolation, dans un entretien filmé en 1977 [2].
Mon père non plus n’aimait pas additionner ses failles ni en tenir registre.
Mon père croyait au corps, à sa musculature, sa mécanique. Dans un milieu favorisé, il aurait pu remplir un carton à dessin de ses esquisses de ligaments et de tendons — mais pas le temps de dessiner quand on n’est pas né où il faut.
PMG, lui non plus, n’est pas né équipé, ni de cours de dessin ni de rubans, breloques ou château de Kylemore.
Il (c’est facile) ne croit pas aux dessins, mais aux desseins sûrement.
Il a un corps de manutentionnaire.
Boxeur. Chauffeur de camion. Employé dans une ferme à poulets.
Il a appris à son corps à "bouger comme une panthère [3])" pour Danger Man où il joue le rôle principal [4].
Il est l’homme d’action qui connaît les gestes.
Les gestes quand on est oppressé.
Sauter, dévaler des marches, bondir sur l’ennemi, esquiver, rouler, se jeter, empoigner, frapper, traîner, se tapir, observer, courir, courir, courir.
Il chevauche son corps comme un cheval — de moins en moins facilement, avec le temps, un cheval dompté autrefois.
Autrefois, avant que le présent ne vienne l’interrompre.
Dans la maison vide, pas de script.
Alors, le corps de PMG est un peu ballant, comme un bateau à quai.
Un pêcheur qui attend la marée.
Un ouvrier la reprise.
PMG a un corps d’ouvrier.
Et il l’a costumé selon les désirs des Lew Grade, des agents, des troupes de théâtre.
Jusqu’à décider seul quoi porter.
Tous les costumes ne se valent pas [5].
Mais final, tous les corps se valent. Dem Bones.
Ultime tenue de camouflage.
Le chant et la danse des os qui savent se reconnaitre entre eux et se souder, espiègles, en rythme [6].
Les corps vont tous au même endroit.
C’est PMG qui a l’idée d’un camion cage [7], un camion de cirque à la remorque ouverte par des barreaux sur toute sa longueur.
À la place d’un lion ou d’un tigre déprimé à l’intérieur, colérique, il y a les évadés.
Les évadés du Village [8], foot bone connected to the leg bone, ils dansent, leg bone connected to the knee bone [9], rageurs, drôles, décidés, dans des costumes d’apparat, costumes du Kid, costume de congress men, risibles — puisque la vie est l’histoire « dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur [10] ».
Le charlot, le sénateur, jeune, vieux, fou, duc, gras, clergyman, maigre, fûté ou pas, la grande égalité de Dem Bones est ce que PMG préfère.
Tous chantent cette chanson qui met tout le monde d’accord.
Une danse de vie, une chanson de vie.
Une comptine que les enfants se mettent à chanter, tout à coup, brailler même, sans prévenir, pour défier le maître.
La chanson ne dit pas quels os sont nécessaires pour un pied de nez, mais il y est.
C’est dangereux, les pieds de nez.
Mais il ne peut pas s’empêcher d’en faire. Pas par taquinerie. Enfin un peu, mais pas seulement.

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[1lors de l’entretien filmé par Chris Rodley en 1983 pour son documentaire, Six Into One, Prisoner file.

[2une interview pour TV Ontario (le nombre de fois où l’on peut voir PMG s’exprimer en dehors de ses performances d’acteur tient sur les doigts d’une main).

[3dixit Lew Grade, agent, producteur, fondateur de l’Incorporated Television Company, une sorte de dieu ici-bas qui décide de ce qu’on met dans le poste.

[4Danger Man (Destination Danger en français), série télévisée britannique d’espionnage où PMG incarne l’agent secret John Drake, un rôle qui l’a rendu plus que célèbre.

[5il refuse le rôle de James Bond, car il déteste ce personnage, et c’est Sean Connery qui sera choisi à sa place.

[6Dem Bones : chant traditionnel, basé sur un texte biblique, qui accompagne les dernières scènes du Prisonnier (« le prophète Ezéchiel visite la vallée des ossements desséchés et les fait renaître à la vie sur ordre de Dieu »).

[7à la fin du dernier épisode du Prisonnier, celui censé résoudre l’énigme.

[8chaque épisode du Prisonnier raconte une tentative d’évasion ratée, sauf les deux derniers, une fin en deux parties, et une résolution narrative qui a valu une vague de haine à l’encontre de PMG, obligé de quitter son pays, parce que le scenario ne correspondait pas à ce que le public espérait (des réponses, par exemple).
La question primordiale était "Qui est le Numéro 1 ?", l’ennemi ultime, le Grand Méchant. PMG répond : c’est nous, c’est soi-même, c’est tout le monde.
Et à la seconde question, celle de savoir si le prisonnier sera un jour libre, la réponse de PMG est non, car la fin est une boucle, un retour au début de l’histoire ; le prisonnier, enfin rentré chez lui, pousse la porte de sa maison, et... tout recommence. "La liberté est un mythe, ça n’existe pas", dit PMG dans une interview.

[9refrain de Dem bones : toe bone connected to the foot bone / foot bone connected to the leg bone / leg bone connected to the knee bone, etc. (l’os de l’orteil s’attache à l’os du pied / l’os du pied s’attache à l’os de la jambe / l’os de la jambe s’attache à l’os du genou, etc).

[10[…] it is a tale Told by an idiot, full of sound and fury […] (Macbeth, Shakespeare).

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