TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

JOURNAL DE TRADUCTION DES VAGUES #WOOLF

journal de bord des Vagues -147 ["La pierre du jour était fendue"]

dimanche 3 décembre 2023, par C Jeanney

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(journal de bord de ma traduction de
The Waves de V Woolf)

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(nouvel intermède, l’avant-dernier, avec la course du soleil)

 le passage original

The sun was sinking. The hard stone of the day was cracked and light poured through its splinters. Red and gold shot through the waves, in rapid running arrows, feathered with darkness. Erratically rays of light flashed and wandered, like signals from sunken islands, or darts shot through laurel groves by shameless, laughing boys. But the waves, as they neared the shore, were robbed of light, and fell in one long concussion, like a wall falling, a wall of grey stone, unpierced by any chink of light.
A breeze rose ; a shiver ran through the leaves ; and thus stirred they lost their brown density and became grey or white as the tree shifted its mass, winked and lost its domed uniformity. The hawk poised on the topmost branch flicked its eyelids and rose and sailed and soared far away. The wild plover cried in the marshes, evading, circling and crying farther off in loneliness. The smoke of trains and chimneys was stretched and torn and became part of the fleecy canopy that hung over the sea and the fields.
Now the corn was cut. Now only a brisk stubble was left of all its flowing and waving. Slowly a great owl launched itself from the elm tree and swung and rose, as if on a line that dipped, to the height of the cedar. On the hills the slow shadows now broadened, now shrank, as they passed over. The pool on top of the moor lay blank. No furry face looked there, or hoof splashed, or hot muzzle seethed in the water. A bird, perched on an ash-coloured twig, sipped a beak full of cold water. There was no sound of cropping, and no sound of wheels, but only the sudden roar of the wind letting its sails fill and brushing the tops of the grasses. One bone lay rain-pocked and sun-bleached till it shone like a twig that the sea has polished. The tree, that had burnt foxy red in spring and in midsummer bent pliant leaves to the south wind, was now black as iron, and as bare.
The land was so distant that no shining roof or glittering window could be any longer seen. The tremendous weight of the shadowed earth had engulfed such frail fetters, such snail-shell encumbrances. Now there was only the liquid shadow of the cloud, the buffeting of the rain, a single darting spear of sunshine, or the sudden bruise of the rainstorm. Solitary trees marked distant hills like obelisks.
The evening sun, whose heat had gone out of it and whose burning spot of intensity had been diffused, made chairs and tables mellower and inlaid them with lozenges of brown and yellow. Lined with shadows their weight seemed more ponderous, as if colour, tilted, had run to one side. Here lay knife, fork and glass, but lengthened, swollen and made portentous. Rimmed in a gold circle the looking-glass held the scene immobile as if everlasting in its eye.
Meanwhile the shadows lengthened on the beach ; the blackness deepened. The iron black boot became a pool of deep blue. The rocks lost their hardness. The water that stood round the old boat was dark as if mussels had been steeped in it. The foam had turned livid and left here and there a white gleam of pearl on the misty sand.



feathered est un réel problème
je l’ai rencontré plusieurs fois, très souvent dans ces intermèdes
l’attraper n’est pas simple
un mot à traduire normalement par "empenné"
pour moi un bon exemple de grand écart auditif : il suffit de prononcer à voix haute ces deux mots :
la douceur de feathered (je vois pratiquement une main caresser une plume)
et "empenné" (là j’ai l’image du garde-chasse qui terrorise la famille de Pagnol dans Le château de ma mère)
je ne sais plus comment je me suis débrouillée avec les feathered précédents, mais je refuse de mettre "empennés" ici

c’est un poème en prose, aussi chaque mot est à questionner, sens et sonorité

les flèches sont lancées sur toute la surface de l’eau
le paysage entier est vu sous leurs lumières

A breeze rose, The hawk [...] rose
the tree [...] winked, The hawk [...] flicked
tout est uni et disparate à la fois
l’air et l’animal s’élèvent
l’arbre et l’oiseau cillent
il y a des correspondances, des unions, des lignes qui se rejoignent et se séparent, comme prises dans un même mécanisme
c’est un paysage fait de détails singuliers, chacun s’accordant et répondant à l’autre
formant une harmonie

et ce rouage unique qui fait un tout de ces disparités, c’est The tremendous weight of the shadowed earth
l’ombre de la nuit qui vient
la grande ombre de la grande nuit
(on sait que cette nuit durera à jamais)

je reste longtemps sur
The land was so distant that no shining roof or glittering window could be any longer seen.
car je ne veux pas de "on", pas de sujet humain
personne ne verra plus et personne ne doit voir
c’est le paysage qui s’écrit
sans personne

et je sens bien que chacun de ces intermèdes est à revoir, à relire et travailler encore
parce que chaque mot, virgule, déplacement, ne bouge pas que la phrase, mais le paysage aussi, un peu

(indulgence demandée, work in progress)


 ma proposition

Le soleil déclinait. La pierre du jour était fendue et la lumière se déversait dans ses fissures. Le rouge et l’or perçaient les vagues par salves, des flèches vives coiffées de plumes de noirceur. Par moments, des rayons lumineux fusaient et se perdaient, comme les signaux venus d’une île engloutie sous la mer, ou des piques que lanceraient à travers les lauriers une bande de garçons effrontés en riant. Mais les vagues, à l’approche du rivage, se trouvaient privées de lumière, elles s’abattaient alors en une seule longue secousse, comme un mur qui s’effondre, un mur de pierre grise, sans le moindre interstice qui laisse passer le jour.
La brise se leva ; un frisson traversa les feuilles ; ainsi agitées, elles perdaient leur brun dense pour du gris ou du blanc, au fur et à mesure que la masse de l’arbre bougeait, cillait et renonçait à être un dôme régulier. Le faucon perché sur la branche la plus haute cligna des yeux et il prit son envol, avant de naviguer en montant droit vers l’horizon. Le pluvier doré dans les marais criait, prenant la fuite, formant des cercles, criant toujours plus loin sa solitude. La fumée des trains et celle des cheminées se distendaient et se tordaient jusqu’à ne plus faire qu’un avec la toile laineuse suspendue au-dessus de la mer et des champs.
Maintenant, le blé était coupé. N’ayant laissé que du chaume sec après toutes ses vagues et ses ondulations. Lentement, un grand hibou se jeta depuis l’orme et balança en s’élevant, comme sur un fil tiré, oblique, jusqu’au sommet du cèdre. Sur les collines, les ombres lentes parfois s’élargissaient ou bien rétrécissaient au gré de leur passage. L’étang en haut de la lande était vide. Pas de gueule poilue pour s’y voir, ni de sabot qui fasse gicler l’eau et pas de museau tiède pour la remuer. Un oiseau, perché sur une brindille couleur de cendre, avala une becquée d’eau froide. Aucun bruit de moisson ou de grincement de roues, seulement le rugissement soudain du vent, laissant ses voiles se gonfler et frôler la cime des herbes. Un os, délavé par la pluie et blanchi de soleil, brillait au sol comme une branche laissée et polie par la mer. L’arbre, flamboyant de rouge et de roux au printemps, qui s’était incliné en plein été au vent du sud, se montrait maintenant noir comme le fer, et aussi nu.
La côte était trop distante pour que s’aperçoive encore un toit luisant ou le reflet brillant d’une fenêtre. Le poids immense de l’ombre descendue sur la terre avait submergé ces digues si fragiles, ces barrières de coquilles d’escargot. Ne restaient maintenant que l’ombre liquide du nuage, les bourrasques de pluie, le jet de lance isolé d’un rayon de soleil, ou la griffe brutale de l’orage. Des arbres solitaires s’alignaient au-dessus des collines comme autant d’obélisques.
Le soleil du soir, qui avait vu sa chaleur décliner et son intensité lumineuse se déliter, donnait aux tables et aux chaises une sorte de velouté et les marquetait de losanges bruns et jaunes. Doublées par l’ombre, elles semblaient s’alourdir, comme si en s’inclinant la couleur les faisait pencher d’un côté. Les couteaux, les fourchettes et les verres posés là s’allongeaient, bombés, et inquiétants. Bordé d’un cercle d’or, le miroir figeait la scène comme pour l’éternité au centre de son œil.
Pendant ce temps, les ombres s’étiraient sur la plage ; l’obscurité s’intensifiait. La botte noire comme le métal s’était changée en flaque d’un bleu profond. Les rochers perdaient leur dureté. L’eau tout autour de la vieille barque était foncée comme si y croupissaient des moules en chapelets. L’écume devenue livide laissait ici et là l’éclat d’une perle blanche sur le sable brumeux.

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( work in progress )

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)</

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