TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

JOURNAL DE TRADUCTION DES VAGUES #WOOLF

journal de bord des Vagues -113 ["Nous ne flotterons plus jamais librement."]

lundi 18 septembre 2023, par C Jeanney

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(journal de bord de ma traduction de
The Waves de V Woolf)

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(la salle de restaurant, la table, le mouvement continu de la porte, tout est possible, mais Bernard a une annonce à faire)

 le passage original

‘How proudly we sit here,’ said Jinny, ‘we who are not yet twenty- five ! Outside the trees flower ; outside the women linger ; outside the cabs swerve and sweep. Emerged from the tentative ways, the obscurities and dazzle of youth, we look straight in front of us, ready for what may come (the door opens, the door keeps on opening). All is real ; all is firm without shadow or illusion. Beauty rides our brows. There is mine, there is Susan’s. Our flesh is firm and cool. Our differences are clear-cut as the shadows of rocks in full sunlight. Beside us lie crisp rolls, yellow-glazed and hard ; the table-cloth is white ; and our hands lie half curled, ready to contract. Days and days are to come ; winter days, summer days ; we have scarcely broken into our hoard. Now the fruit is swollen beneath the leaf. The room is golden, and I say to him, “Come”.’
‘He has red ears,’ said Louis, ‘and the smell of meat hangs down in a damp net while the city clerks take snacks at the lunch bar.’
‘With infinite time before us,’ said Neville, ‘we ask what shall we do ? Shall we loiter down Bond Street, looking here and there, and buying perhaps a fountain-pen because it is green, or asking how much is the ring with the blue stone ? Or shall we sit indoors and watch the coals turn crimson ? Shall we stretch our hands for books and read here a passage and there a passage ? Shall we shout with laughter for no reason ? Shall we push through flowering meadows and make daisy chains ? Shall we find out when the next train starts for the Hebrides and engage a reserved compartment ? All is to come.’
‘For you,’ said Bernard, ‘but yesterday I walked bang into a pillar-box. Yesterday I became engaged.
’How strange,’ said Susan, ’the little heaps of sugar look by the side of our plates. Also the mottled peelings of pears, and the plush rims to the looking-glasses. I had not seen them before. Everything is now set ; everything is fixed. Bernard is engaged. Something irrevocable has happened. A circle has been cast on the waters ; a chain is imposed. We shall never flow freely again.’



problème avec swerve dans the cabs swerve
il faut l’idée d’embardées, mais aussi que ce soit très bref, allonger la phrase ici ne donnera pas ce rythme
ça pulse (je peine à mettre en forme ce vif)

souci avec Beauty rides our brows
parce qu’il y a l’idée de transport, de voyage
ce n’est pas une beauté calme, c’est un flux, une énergie

Beside us lie crisp rolls, yellow-glazed and hard
voilà une phrase toute simple, mais si compliquée
si je traduis crips rolls par "petits pains", ça devient anodin, gentillet
je dois finir par "dur" pour que ça claque mieux
mais "du pain dur" fait tout de suite référence à la misère du prisonnier dans sa cellule
(et à la chanson de la poule qui picote sur le mur)
dans cette phrase là, il y a ce qu’ont veut attraper, qui croustille sous la dent, à la fois solide, vernis et lumineux (ce n’est pas une phrase décorative)

et puis surtout il y a I walked bang into a pillar-box
imaginer Bernard se cogner à une boîte-aux-lettre, bof, il n’est ni Chaplin ni Buster Keaton
et puis en regardant des images de ce qu’est une pillar-box à l’époque du texte, en voyant cette colonne massive, rouge, ouvragée, je comprends bien que Bernard ne se cogne pas à une boîte aux lettres en forme de maisons pour oiseaux, ce n’est pas un cartoon
(je pourrais toujours remplacer pillar-box par réverbère, ou lampadaire, mais il manquerait la notion de lettres, de messages)
c’est fou comme un détail minuscule, un petit pain, une boîte aux lettres, prend tout à coup de l’importance, autant que des termes comme la joie, la finitude, l’espoir et la sensation d’exister

en l’occurrence, ici, se cogner équivaut pour Bernard et les autres à un clap de fin
un avenir archivé


 ma proposition

« Comme nous sommes fiers assis ici, dit Jinny, et nous n’avons pas vingt-cinq ans ! Dehors les arbres fleurissent ; les femmes s’attardent ; les taxis donnent des coups de volant et filent. Libérés des hésitations de la jeunesse, de son obscurité, de son aveuglement, nous pouvons regarder droit devant nous, parés pour ce qui va venir (la porte s’ouvre, la porte continue de s’ouvrir). Tout est réel ; solide, sans ombre ni illusions. Notre front porte la beauté. La mienne, celle de Susan. Nous avons la chair ferme et fraîche. Nos différences se voient aussi nettement que les reliefs d’un roc en plein soleil. Près de nous les toasts sont craquants, laqués de jaunes, et durs ; la nappe est blanche ; nos mains reposent, à demi ouvertes, prêtes à se contracter. Des jours et des jours vont suivre ; jours d’hiver, jours d’été ; nous n’avons pas encore puisé dans nos réserves. En ce moment, le fruit est gonflé sous la feuille. Dans la salle dorée, je lui dis : "Viens." »
« Il a les oreilles rouges, dit Louis, et dans l’air une odeur de viande plane en filet humide, pendant que les employés, attablés au comptoir, mangent un morceau. »
« De ce temps infini devant nous, dit Neville, qu’allons-nous faire ? Musarder dans Bond Street, regarder ça et là, pour acheter, pourquoi pas, un stylo-plume parce qu’il est vert, ou demander combien coûte l’anneau à la pierre bleue ? Allons-nous rester à l’intérieur pour contempler les charbons qui rougissent ? Saisir un livre, lire un passage ici ou là ? Éclater de rire sans raison ? Partir vers des prairies en fleurs composer des guirlandes de marguerites ? Savoir à quelle heure part le prochain train pour les Hébrides, réserver un compartiment ? Tout est à venir. »
« Pour vous, dit Bernard, mais moi, hier, je me suis cogné contre le pilier de la poste royale. Hier, je me suis fiancé. »
« Comme ils ont l’air étrange, dit Susan, ces petits sucres en tas près de l’assiette. Et la pelure marbrée des poires, et les cadres fastueux des miroirs. Je ne les avais pas remarqués. Tout est réglé maintenant ; tout est figé. Bernard est fiancé. Quelque chose d’irrévocable est arrivé. Un cercle a été jeté sur les eaux ; une chaîne inéluctable. Nous ne flotterons plus jamais librement. »

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( work in progress )

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)</

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