TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

JOURNAL DE TRADUCTION DES VAGUES #WOOLF

journal de bord des Vagues -114 ["Nous voilà tous éparpillés."]

mardi 19 septembre 2023, par C Jeanney

.

(journal de bord de ma traduction de
The Waves de V Woolf)

.

.

.

.

.

(la salle de restaurant, la table, un moment de bascule : Percival s’est embarqué pour l’Inde, et Bernard vient d’annoncer qu’il était fiancé)

 le passage original

’For one moment only,’ said Louis. ’Before the chain breaks, before disorder returns, see us fixed, see us displayed, see us held in a vice.
’But now the circle breaks. Now the current flows. Now we rush faster than before. Now passions that lay in wait down there in the dark weeds which grow at the bottom rise and pound us with their waves. Pain and jealousy, envy and desire, and something deeper than they are, stronger than love and more subterranean. The voice of action speaks. Listen, Rhoda (for we are conspirators, with our hands on the cold urn), to the casual quick, exciting voice of action, of hounds running on the scent. They speak now without troubling to finish their sentences. They talk a little language such as lovers use. An imperious brute possesses them. The nerves thrill in their thighs. Their hearts pound and churn in their sides. Susan screws her pocket-handkerchief. Jinny’s eyes dance with fire.’
’They are immune,’ said Rhoda, ’from picking fingers and searching eyes. How easily they turn and glance ; what poses they take of energy and pride ! What life shines in Jinny’s eyes ; how fell, how entire Susan’s glance is, searching for insects at the roots ! Their hair shines lustrous. Their eyes burn like the eyes of animals brushing through leaves on the scent of the prey. The circle is destroyed. We are thrown asunder.’



j’ai envie de conserver/marquer la répétition du see us
dans see us fixed, see us displayed, see us held in a vice
pour qu’il y ait ce constat en forme de litanie
(presque comme quelqu’un qui se frapperait la poitrine
de culpabilité ou de désespoir)

dans The voice of action speaks je dois être très attentive
si je mets "C’est la voix qui parle", ça n’est pas très heureux
et puis dans mes essais de formulation
il y a toujours ce piège à désamorcer à l’avance
de l’ambiguïté voix/voie
qui pourrait s’introduire à la lecture

après leur dialogue tenu secret, entre parenthèses, (au paragraphe précédent)
Rhoda et Louis ne peuvent que constater :
ils (les six personnages) étaient unis
ils avançaient ensemble, se déployaient ensemble
mais c’est fini

ils vont se perdre de vue
comme s’ils se lâchaient les mains

pour Louis et Rhoda, les autres deviennent incompréhensibles
sauvages, étrangement investis par des sentiments auxquels eux n’auront pas accès

la langue des autres devient inaccessible
(a little language such as lovers use)
et leurs yeux surtout
il y a des lueurs pratiquement démoniaques dans les yeux de Jinny,
et ceux de Susan sont fell (terribles, cruels)

normalement je devrais traduire
Jinny’s eyes dance with fire
par Des flammes dansent dans les yeux de Jinny
mais, est-ce qu’il existe une expression plus convenue, plus passe-partout ?
des "flammes dansent dans les yeux" de tous les personnages de la collection Harlequin
alors je décide que non
aussi à cause du with

le cercle est détruit, dit Louis
parce que Percival s’en va
et que Bernard est fiancé
Percival est, et reste, restera, le personnage silencieux
mais Bernard, que va dire Bernard ? (dans le prochain paragraphe)


 ma proposition

« Pour un instant seulement, dit Louis. Avant que la chaîne se brise et que le désordre revienne, regardez-nous, fixés, regardez-nous, cloués, regardez-nous, maintenus dans un étau.
Mais le cercle se rompt. Le courant se libère. Nous sommes précipités plus vite que jamais. Les passions qui dormaient dans les hauts fonds, au creux des algues sombres, jaillissent, pour venir nous fouetter comme des vagues. Douleur et jalousie, envie, désir et je ne sais quoi encore, de plus profond, de plus fort que l’amour, et de plus souterrain. L’action fait entendre sa voix. Écoute, Rhoda (nous sommes deux conspirateurs, les mains posées sur l’urne froide), écoute la voix désinvolte, vive, grisante de l’action, la voix des chiens qui flairent une piste. Ils parlent sans même finir leurs phrases. Se disent de petits mots, comme font les amants. Une force impérieuse les possède. Les nerfs leur tremblent dans les cuisses. Leur cœur s’emballe et bouillonne au-dedans. Susan serre son mouchoir très fort. Et les yeux de Jinny dansent avec le feu. »
« Ils sont immunisés, dit Rhoda, contre les mains qui fouillent et les yeux indiscrets. Et avec quelle facilité ils se retournent pour observer ; comme ils prennent la pose, pleins d’énergie, d’orgueil ! Quelle vie scintille dans les yeux de Jinny ; et comme ceux de Susan sont féroces, absolus, tandis qu’elle cherche des insectes sous les racines ! Leurs cheveux luisent, satinés. Leurs yeux flamboient, comme quand des bêtes écartent les feuillages pour débusquer une proie. Notre cercle est détruit. Nous voilà tous éparpillés. »

.


( work in progress )

.

.

.

.

.

(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)</

Messages

  • Bonjour Christine
    Nous nous croisons chez F.Bon
    L’intégralité de ta traduction (jusqu’à ce jour) est-elle accessible ?
    Amicalement
    JMG

    • Bonjour JMG, en fait tout est sur mon site.
      J’ai essayé plusieurs "protocoles", dont celui de traduire seule dans mon coin, sans mettre les paragraphes en ligne ici, mais "ça marche beaucoup moins bien" (comme dirait Bourvil devant sa voiture en morceaux du Corniaud).
      Pour l’instant, j’ai en stock un premier jet de texte traduit jusqu’au début du monologue final de Bernard (qui tient toute la dernière partie). Et c’est ce premier jet que je reprends et retravaille avant de le publier ici.
      (il y a aussi ce paramètre : j’ai commencé à traduire les Vagues sans avoir lu le livre, ni en anglais ni dans aucune des trois traductions déjà publiées. Un peu pour recevoir le texte "à cru". Un peu pour avancer comme vous avancez avec moi (si comme moi vous ne l’avez pas lu avant)).
      J’ai donc ce premier jet, incomplet. Et je sais que ce n’est pas le texte de la traduction finalisé, car la transition de mon document au site, et donc à un espace public, modifie la donne. Comme j’ai envie de proposer le passage et ma tentative de le traduire en expliquant ce qui se met en place, ce qui travaille "sous", "avec" la traduction, comme j’ai envie d’expliquer, de raconter ce qui se passe, je réalise que je suis allée trop vite ou que certaines de mes phrases ne sont pas adaptées, je réajuste en publiant ici. En expliquant aux autres, je me l’explique, en même temps, je fais des découvertes que je ne ferais jamais si j’étais seule.
      Quand je comprends, en le présentant ici, que tel passage doit se centrer sur un nœud particulier, en expliquant quelle a été la phrase la plus difficile à traduire pour moi, il se passe quelque chose. Je réécris, j’ajuste, pour vous, pour vous montrer le texte.
      En fait, cette traduction existe telle qu’elle est parce qu’elle est publiée, morceau après morceau, donc en quelque sorte mise à distance pour vous. Elle prend un sens et une épaisseur dont je n’ai pas idée en traduisant "à blanc".
      Merci de cette question !

Un message, un commentaire ?

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.