TENTATIVES

« la vie ça éparpille des fois / ça chélidoine et copeaux / ça bleuit ça noisette » [Maryse Hache / porte mangée 32]

W5 (5textes5images5jours) (actuellement en dormance)

W5 . 7 *la trappe

mercredi 5 juillet 2023, par C Jeanney


Un. Drôle d’expérience, proche du rêve : quelqu’un (quelqu’une) écrit sur mon travail. Je le découvre longtemps après. J’arrive comme la cavalerie mais les personnes à sauver vont bien, ma mission est déjà accomplie, les bandits sont tous rentrés chez eux et les survivants ont tous survécu (c’est leur boulot) sans moi. Je lis ce que quelqu’une écrit sur mon travail, ça m’interloque, comme s’il n’était pas question de moi, comme si mon nom qui apparaît dans les phrases pouvait aurait pu être remplacé par un nom inconnu, et je me serais dit « mais ça me parle ce qu’il elle fait, c’est le genre de travail que j’aimerais faire ». Je lis mes réponses à des questions dont je ne me souviens pas (je sors d’une période trouble où je n’étais pas au monde, j’étais pourtant vivante, active, mais pas au monde, et créative sûrement pas, je sors d’une période de boues acides). Les réponses que j’ai données alors, il y a longtemps, avant les boues, me semblent pertinentes, comme un programme de remise en forme, une liste de consignes à suivre, suite de conseils réparateurs (« Douleurs articulaires ? Essayez le baume du Griffon », et je veux essayer le baume du Griffon que je me suis prescrit, il y a longtemps, je découvre l’ordonnance pour le traitement maintenant, je découvre aussi ma maladie. Il s’agit de l’image).
UnDeux. Dans ce que j’ai répondu il y a longtemps et que j’ai oublié, l’image est génératrice, matrice, elle est le cœur qui bat dans la coque extra-terrestre de 2001 l’Odyssée de l’espace, film auquel je n’ai rien compris (quand mes pieds ne sont pas pris dans des boues acides, je les pose sur un sol non identifié la plupart du temps, mais je ne sais rien de mon ignorance, je ne sais même pas que je ne sais pas).
UnDeuxTrois. Et d’un seul coup, l’ordinateur de bord s’allume. Les voyants clignotent, « vous êtes bien arrivée » dit l’écran. Et même si je ne sais pas où je suis arrivée, je suis soulagée. Je suis soulagée d’une inquiétude dont je ne savais rien. C’est ça le rêve.
UnDeuxTroisQuatre. Vous vous êtes déjà retrouvé en voiture dans un bouchon ? Et vous avez eu l’impression que vous pourriez être dans la voiture d’à côté ? Ou celle qui suit, ou celle devant ? Ou bien c’est une course dans un stade, et chacun court dans son couloir, mais votre couloir et l’autre couloir et le suivant s’échange à chaque mouvement de jambes, personne ne gagne la course (tout simplement parce qu’il n’y a pas de course à gagner).
UnDeuxTroisQuatreCinq. Ma maladie c’est l’image. C’est une trappe dans le plafond. On l’ouvre en tirant sur une ficelle. Je tire sur la ficelle de l’image pour ouvrir la trappe de l’image et elle me tombe dessus, avec des mots, avec des sons. En photographie, on parle du bain révélateur, il est assez puissant pour remplacer mes boues acides. Maintenant, il y a longtemps, demain. Une expérience étrange ce matin. Une découverte. Un alunissage. Mais il est possible que je me trompe. Ce travail de quelqu’une qui écrit sur mon travail est ancien, et elle a dû me l’envoyer quand c’est sorti. Je ne m’en souviens pas à cause de mon cerveau qui a une capacité particulière à repartir de zéro régulièrement, par plaisir. Par exemple, je ne me souviens jamais des indices qui font que Columbo dévoile le coupable, ou que Sherlock Holmes résout l’affaire, car j’aime ne pas savoir, redécouvrir, revivre la première fois où Vera Miles se gratte la main sous le gant à cause du sumac vénéneux, ou le jet de rocher qui écrase la crinière du lion dans la station balnéaire anglaise. C’est peut-être ma façon de fonctionner (l’oubli), et ma façon de me souvenir (l’oubli). Je reprends le souvenir à zéro, je le revis, revisite, ça grince, comme ces petites voitures qu’il faut frotter plusieurs fois sur le sol d’avant en arrière, puis on les lâche et elles filent, je ne me souviens plus de leur nom, friction, voitures à friction, c’est la friction qui m’intéresse, la friction entre moi et l’image, entre le temps et moi et l’image et ce qui peut naître, demain, du souvenir.

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(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)

Messages

  • je vais essayer de faire dans la maison[s]témoin un billet sur 2001 - ça a 55 ans -ah oui quand même -pour les images ça me fait pareil - j’essaye de les collectionner - et puis je les oublie pour m’en souvenir

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